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L’Inde intérieure

par Danièle Masset | Publié le 21 juin 2005

La force considérable de l’Inde intérieure a résisté aux influences occidentales et perdure de nos jours dans la culture indienne. La relation de maître à disciple y est plus personnelle et moins institutionnelle, et le renoncement y est considéré de façon positive. Approcher cette spiritualité différente ne peut que nous mener vers une plus grande tolérance.

« La force considérable de l’Inde intérieure a résisté aux influences occidentales et perdure de nos jours dans la culture indienne. La relation de maître à disciple y est plus personnelle et moins institutionnelle, et le renoncement y est considéré de façon positive. Approcher cette spiritualité différente ne peut que nous mener vers une plus grande tolérance. »

« Une façon courante dans l’Occident moderne « d’oublier le Soi » est de remplacer une démarche mystique expérientielle par l’histoire de la mystique. Celle-ci a sa place, surtout pour clarifier les idées des chercheurs débutants, mais elle ne doit pas avoir la priorité à long terme, car elle réduit à des liens de causalité finalement temporels un Soi qui est essentiellement en dehors du temps. Dans une société plutôt rationaliste, l’histoire de la mystique est un moyen décent, rassurant, de s’occuper de « ces choses » qui correspondent à l’expérience intérieure, mais elle ne la remplace pas, autant le dire d’emblée pour ne pas égarer les autres et ne pas non plus se duper soi-même. »

II. FASCINATIONS INDIENNES

« Mère l’Inde »

« Une des appellations les plus courante de leur pays par les hindous est Bharat Mâtâ, « Mère l’Inde ». Au XIXe siècle, un certain nombre de penseurs occidentaux ont espéré trouver dans l’Inde le berceau des civilisations, et dans le sanskrit la langue-mère, la langue originelle. Certes, il s’est avéré que les choses n’étaient pas si schématiques, mais il n’en reste pas moins que le sanskrit du Rig Veda, qui est encore chanté couramment dans les temples et les écoles védiques de l’Inde, est la langue indo-européenne encore en usage qui est la plus proche du proto-indo-européen. »

La relation de maître à disciple

« Les institutions religieuses ont aussi leurs déviations, comme d’ailleurs dans le christianisme ou dans le bouddhisme. Même une bonne institution religieuse ne pourra pas transmettre ce que peut transmettre un bon maître spirituel. Il y a un moment où la relation doit être de personne à personne, au moins pour ceux qui ne se contentent pas d’une religion sociale mais veulent un véritable épanouissement mystique. A mon sens, l’insistance sur la souffrance dans la mystique monastique chrétienne vient en bonne partie de la primauté des règles et des contraintes institutionnelles sur la relation vivante de maître à disciple. Ajouté à la loi de clôture que l’Eglise a imposé à ses moines et moniales depuis le xiiie siècle, cela crée un climat plutôt sec dont le moine pâtit et qu’il essaie de compenser ou justifier en développant une mystique de la souffrance.

Je sais bien que l’Occidental moyen critiquera la notion de guru comme étant synonyme de dépendance. Mais dans la vraie relation, la dépendance est à la phase de début. Il s’agit d’un transfert affectif qui permet à l’aspirant de se détacher de ses autres liens et dépendances. Après, il tient sur ses propres jambes et devient mûr, en particulier pour l’expérience de solitude qui lui fera faire des progrès spirituels considérables. »

« Dans mon expérience de période de solitude un peu prolongée j’ai pu constater que les lectures ou les enseignements religieux généraux passaient au second plan par rapport à la parole du maître spirituel qui a traversé avant vous l’expérience érémitique. En ce sens on dit en Inde: Mantramulam guruvakyam, « la racine du mantra, c’est la parole du guru ». Lorsque Milarepa a quitté la maison de son maître Marpa où il avait vécu avec lui ainsi qu’avec sa famille et ses autres disciples, et qu’il s’est mit à vivre dans des grottes, il a dit à peu près ceci : « Je suis heureux de ma solitude, car elle me permet de méditer continûment sur mon guru ». Quand il était dans le chahut de la vie communautaire dans la maison de Marpa, il avait du mal à le faire. Je comprends que ces notions soient difficiles à saisir par ceux qui n’ont pas l’expérience de la méditation intensive, mais cela n’empêche qu’elles sont réelles. »

Le renoncement

« Dans mon choix de rester en Inde, a certainement beaucoup compté la possibilité d’y expérimenter une vie de renoncement indépendante. Il faut dire qu’en Inde, le renoncement est pris au sérieux par la population, ce qui dans l’ensemble n’est plus le cas en Occident. Les gens savent que le brahmacarî, le disciple ou l’apprenti spirituel, développe une alchimie intérieure qui lui donne une énergie considérable pour la recherche spirituelle, et aussi pour le travail intellectuel et la vie pratique. Cette ambiance de respect est une aide. »

« Le mot même de sannyas est riche en connotations positives. Ni-AS – signifie déposer, c’est comme se décharger d’un fardeau, se défaire de sa valise une fois qu’on est monté dans le train pour que ce soit le train, et plus soi-même qui la transporte. Nyâsa signifie aussi installation du Nom de Dieu (mantra) et de son Image dans chacune des parties du corps. C’est un rituel très courant dans les pratiques quotidiennes au début de la prière rituelle, qui a été repris dans des méthodes comme le Yoga-nidra. Samnyâsa signifie donc installer complètement le Divin en soi, marquer sa mémoire profonde de son empreinte, de son sceau. »

III. QUELQUES ASHRAMS DE L’INDE D’AUJOURD’HUI

« Avant de parler de lieux précis, il n’est pas inutile de donner quelques réflexions sur l’hindouisme actuel. Il semble qu’il y ait un double courant: les pressions de la vie moderne éloignent une partie de la population, surtout dans les villes, des pratiques et du style de vie traditionnel. Mais en même temps, le développement des moyens de communication et la maturité du pays après un demi-siècle d’indépendance favorise une prise de conscience de l’identité hindoue, non seulement à l’intérieur du pays, mais aussi chez les émigrés. (…) Et d’après Edward Said, un fameux professeur d’Orientalisme qui habite aux Etats-Unis, (l’Inde) est « intégriste », en ce sens qu’il y a des groupes de pression religieux, c’est-à-dire des Eglises aux idées rigides, qui sont très influentes dans les cercles du pouvoir. Malgré cela, il s’agit tout de même d’une démocratie. En pratique, il faut voir si l’hindouisme est capable de prendre ses distances par rapport à une conception nationaliste étroite de l’Inde – et explosive éventuellement, au sens atomique du terme… Il est sûr que bon nombre d’hindous convaincus en sont capables, reste à savoir s’ils représenteront la majorité. »

« Le contact avec une spiritualité différente comme celle de l’Inde permet de mieux prendre conscience de ses conditionnements, voir de ses propres mythes. Nos constructions culturelles sont comme des bâtiments, quand on les voit de l’extérieur, on en apprécie mieux la forme générale et la situation. Cette connaissance entraîne une tolérance, car l’intolérance vient souvent de l’ignorance. Bien des problèmes de rapports entre les religions se résolvent d’euxmêmes, quand on cesse de les considérer comme des idéologies pour les vivre comme des sources de l’expérience intime. C’est en ce sens que j’ai été heureux d’écrire aujourd’hui sur « l’Inde intérieure ». Le moteur commun de l’expérience mystique dans diverses traditions est l’amour et le renoncement : quand on se détache d’éléments culturels certes au départ différents, on finit par converger dans un espace commun. Ramana Maharshi ne disait-il pas: « Les religions sont des fleuves, et l’océan dans lequel elles confluent, c’est le silence » ? »

Revue Française de Yoga, N°19, « Religions en Inde aujourd’hui. », février 1999, pp.209-225.

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