Méditation sur un geste inspiré
Publié le 29 avril 2004
Courbe porteuse de vie et d’espérance, la spirale apparaît souvent dans les images que l’on se forge du sacré et du spirituel. Elle est « l’amour à l’œuvre « . Sa forme structure le réel comme les représentations que l’on en a, en témoigne sa récurrence dans l’expression artistique, notamment en architecture religieuse : la cathédrale de Vézelay par exemple.
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LA SPIRALE DANS TOUS SES ETATS
Pour éviter que la tête ne nous tourne trop vite, le plus simple est peut-être d’abord de s’asseoir. Et de se prendre à méditer sur une spire à portée de main… La mienne, en l’occurrence, c’est – depuis des années posée sur la table où s’écrivent ces lignes – une ammonite fossile, large d’une paume de main, lisse comme un galet, marbrée de brun, de gris et de noir, rayonnant avec une grace légère autour de son ombilic.
D’où l’ai-je rapportée ? Je m’en souviens parfaitement: du Maroc, de la région de Meknès. Pour une poignée de dirhams, je l’ai achetée à un jeune garçon, en visitant les émouvantes ruines romaines de Volubilis. Or, que veut dire, en latin, volubilis ? Ce qui « tourne et s’enroule en hélice autour d’un autre corps » afin d’y prendre appui… D’où le nom savant de volubilis donné à la ravissante fleur également appelée liseron.
Ainsi, d’entrée de jeu, la boucle de notre méditation franchit déjà une spire, si j’ose dire, la spirale se révélant d’emblée forme universelle, geste spontané de la vie, que l’on retrouve dans tous les règnes le minéral (un fossile), le végétal (une plante), l’animal (un coquillage).
Et l’homme allez-vous demander, qu’en faites-vous ? J’y venais, rassurez-vous, pour vous signaler qu’en ce mois d’avril 1993, au moment même où se déroulent les glyphes de ce texte, on fête le quarantième anniversaire de la découverte par Jim Watson et Francis Crick de la « spirale de la vie », cette double structure hélicoïdale de l’A.D.N., l’ acide désoxyribonucléique. Sans doute l’une des plus étonnantes découvertes de la biologie moderne: c’est à l’intérieur de cette interminable double hélice que s’inscrit, en effet, le code génétique du vivant, le support de l’hérédite, la clé de la transmission. Comment mieux dire que la vie s’enroule pour exprimer ce qu’elle a de plus profond ?
SPIRE, SPIRALE OU HELICE?
Stop. Arrêt sur image. Pose à mi-spire, pour éclaircir un petit point de sémantique avant d’aller plus loin. Quelle différence fait-on entre spire, spirale et hélice ? Littré précise que la spirale est « une courbe plane, qui s’écarte toujours plus du point autour duquel elle fait une ou plusieurs révolutions ». Alors que la spire, synonyme d’hélice, est « une courbe résultant de l’enroulement d’une ligne droite sur un cône ou sur un cylindre ». Le sillon du disque est donc une spirale ; celui d’une vis, une spire ou une hélice. Littré note, du reste, que l’usage tend à les utiliser indifféremment. Voilà qui nous détend…
Reprenons donc la vie à son début. « Le principe de la vie, écrit Alain Daniélou dans « La fantaisie des dieux et l’aventure humaine », est symbolisé par une colonne entourée d’un serpent. La colonne ou phallus, est à l’image du Purusha (le principe masculin), c’est-à–dire du plan, du programme, alors que la spirale, ou serpent, représente Prakriti, la substance, le principe féminin. »
L’AMOUR A L’OEUVRE
Que la spire soit d’essence féminine, toute sa structure symbolique le montre. Présente au coeur même de la cellule, sous la forme de l’A.D.N. transmetteur des informations nécessaires à la continuation de la vie, la spirale va se développer dans la manifestation en utilisant tout le registre des formes (courbes), des mouvements (circulaires) et des qualités (enveloppantes) qui sont les marques traditionnelles de la féminité. De la vulve (volvere s’enrouler) à la corne d’abondance, les exemples… abondent. […]
Qu’est-ce en fait qu’une spire, qu’une spirale, qu’une hélice pour avoir, à ce point, inspiré tant de rythmes du vivant ?
C’est le creux et le plein tournant sur eux-mêmes. Ce sont les polarités complémentaires en mouvement, ce qui est la seule façon pour l’homme d’y trouver sa place. C’est la ligne droite contournée, pour plus de facilité, et d’efficacité à la fois, prouvant ainsi qu’elle n’est pas forcément le plus court chemin d’un point à un autre (d’ailleurs tout est courbe dans notre espace/temps). C’est le cercle – figure de la perfection divine – qui se meut pour nous mouvoir vers un mieux-être. C’est une force douce qui va de l’avant, avec la tranquille audace de ceux qui prennent leur temps pour arriver à temps, et font un détour pour aller plus sûrement au but. C’est une fabuleuse école de sagesse…
La spirale est, en somme, tout ce qui permet d’avancer, sans violence et sans à-coup, presque de son propre élan, avec une dépense d’énergie infiniment moindre qu’en ligne droite. Paradoxe ? Savoureux paradoxe!
On peut ainsi comparer utilement les mérites respectifs de la vis et du clou (attention les doigts !), de l’escalier et de l’ascenseur (attention la tête !), de l’hélice et du Jet (attention les tympans !). Ecoutez attentivement les harmoniques, si proches d’un AUM, qu’émet un avion à hélice passant dans le ciel et rapprochez-les de l’inintéressante trace sonore d’un avion à réaction… Ceci explique sans doute pourquoi la nature, tout autant que l’invention humaine, soient si prodigues de ces formes aussi économes qu’élégantes, dont au demeurant l’oeil ne se lasse pas de décrypter et de suivre les courbes : la vigne, le volubilis, l’escargot, le coquillage, mais aussi le pressoir, le tire-bouchon, le ressort…
L’ECOLE DE LA SOUPLESSE
Eh oui, le ressort!
Cette géniale spirale qui fonctionne dans les deux sens: pression, extension – ce rigide métal rendu si souple et si confortable que nous lui avons confié jusqu’à notre sommeil… le ressort nous donne une grande leçon de yoga.
On appuie, il se tasse. On tire, il se détend. On lâche, il revient.
Voici donc une spirale proche de la perfection du lâcher-prise dont, inlassablement, nous entretiennent le Tao et le Zen […]
Ainsi le ressort, notre souple spire, symbole du lâcher-prise et du laisser-advenir, nous apporte-t-il un ultime enseignement. Il nous montre qu’il ne faut pas aller trop loin, trop fort, trop vite, sous peine d’altérer irrémédiablement sa robuste et cependant délicate constitution. Cela signifie que, dans notre propre évolution, et par conséquent dans nos rapports au temps (cyclique lui aussi), il faut savoir attendre, maturer, guetter les signes, choyer le mystère, accueillir l’inconnu. Et sereinement espérer, pour donner à l’inespéré une chance de survenir. […]
Revue française de Yoga, n°8, « Postures de rotation », 1993, pp. 191-200.