Mort, état intermédiaire et renaissance, à la lumière des enseignements tantriques et des recherches contemporaines
Publié le 01 octobre 2003
Dans un monde où la mort est évacuée par tous les moyens, on revient cependant à l’étude des expériences de mort imminente, de décorporation, de mémoire panoramique. Le milieu médical, notamment, s’est départi de l’attitude extrêmement rationaliste, presque positiviste, qu’il adoptait traditionnellement en la matière.
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L’expérience de la mort
Celle-ci peut commencer quelques jours à quelques minutes avant la mort, chez un sujet malade, par des visions de personnes décédées, d’êtres chers ou de figures religieuses, venant accueillir le mourant pour lui faciliter le trépas, en général dans une ambiance de bien-être, voire d’euphorie. Dans l’enquête d’Osis et Haraldson, portant sur huit cent soixante-dix-sept cas aux U.S.A. et aux Indes, l’accueil est fait par les figures convenant à la culture en cause, personnages de la religion hindoue en Inde, chrétienne aux U.S.A.
L’expérience peut être déclenchée, soit par la conviction psychique d’une mort inéluctable dans les secondes à venir, lors d’un accident par exemple, soit par le déroulement effectif d’un processus organique inconscient, ainsi lors d’un arrêt cardiaque sous anesthésie. La réalité, biologique ou psychologique, de la confrontation avec la mort, semble mettre en branle un processus particulier. Celui-ci nous semble être caractérisé par un détachement gradué d’avec l’identité corporelle et ses limitations d’abord, d’avec les appartenances et les identifications psychiques ordinaires ensuite, et par une prise de contact avec un nouveau mode d’existence, enfin, avant de revenir plus ou moins brutalement dans un corps souffrant.Le fait étonnant est que, dans la règle, la rupture avec le mode ordinaire de perception de soi et du monde, l’acceptation d’une situation inévitable, s’accompagnent non plus d’angoisse et de désarroi, mais de paix et de sérénité. Le patient
entend parfois l’équipe médicale annoncer sa mort et s’étonne de ne plus ressentir de douleur mais bien de l’euphorie.
Dans l’expérience de sortie hors du corps, le sujet perçoit sa conscience comme fonctionnellement séparée du corps physique, auquel il ne s’identifie plus, même si le schéma d’un corps mental est conservé dans 68 % des cas . Elle peut s’accompagner de perception extrasensorielle exacte et vérifiable ou demeurer cir-conscrite à un univers mental privé. Lors d’une E.M.I. [expérience de mort imminente], les patients décrivent habituellement qu’ils commencent par flotter au dessus de leur corps inconscient et qu’ils assistent aux efforts des secouristes ou de l’équipe chirurgicale pour les ranimer. Ils voient et ils entendent, bien qu’ils ne soient pas censés le faire. Les détails objectifs ainsi perçus et vérifiés témoignent de perceptions extra-sensorielles, bien classiquement décrites en para-psychologie, depuis longtemps. Une femme, en coma aréactif lors d’une tentative de suicide médicamenteuse, décrit le comportement de l’équipe de secours, du médecin qui lui gratte le pied et déclare « M…, elle n’a plus de réflexes « , son voyage en ambulance flottant au dessus de son corps, puis le lavage gastrique en salle d’urgence et la scène faite par sa mère survenue à l’hôpital, avant de se réveiller dans un lit. Une femme médecin est opérée par son mari chirurgien et un ami anesthésiste pour une cause bénigne. Elle présente une syncope en cours d’intervention qui l’entraîne au plafond de la salle d’opération, d’où elle suit avec intérêt les échanges vifs et colorés du chirurgien et de l’anesthé-siste.C’est en vain qu’au réveil le mari prétendra que tout s’était bien passé lorsque sa femme lui racontera, avec précision, la conversation et les gestes techniques. La perception est souvent subjectivement aiguë, précise, lumineuse. Certains sujets ont l’impression de ne pas voir à partir d’un point unique, celui du plan de vision, mais comme de partout à la fois. Rappelons que si certaines scènes sont imaginaires, créées par le sujet, d’autres sont parfaitement objectives et ont été vérifiées. Habituellement les patients limitent leur intérêt à leur dépouille et son environnement immédiat, un trait que nous retrouverons chez les défunts se souvenant de l’état intermédiaire entre la mort et la renaissance. Dans quelques rares cas, on a pu vérifier que certains sujets avaient pu prendre connaissance de ce qui se passait dans d’autres salles de l’hôpital.
Dans la majorité des cas, l’expérience se déroule dans une ambiance de calme, de paix et de bonheur, impossible à décrire en langage ordinaire, ineffable comme les expériences mystiques. Voici ce que déclare un homme qui a présenté un arrêt cardiaque, en réanimation, lors d’une perforation duodénale avec péritonite: « un soulagement, quelque chose de fantastique, d’inimaginable. Plus de soucis de respirer, ni d’entendre battre son coeur, ni de penser… la tranquillité idéale enfin… sans vision autre que ce calme idéal… ne plus se sentir soi-même, le vide, le vide complet. On ne peut pas imaginer… le vide de béatitude, la béatitude du vide .
Les expériences négatives sont très rares, autour de 1% pour Ring et Gallup. Un seul auteur, Rawlings, rapportait comme fréquentes des E.M.I. littéralement infernales, où l’on voit se manifester l’imaginaire infernal classique illustré par l’histoire de Thespésios contée par Plutarque, saint Grégoire le Grand […] . On peut se demander pourquoi Rawlings, cardiologue
dans un service de réanimation, a pu interroger ses patients dans les secondes suivant le retour à la conscience et non des jours ou des mois plus tard comme il est fréquent. Dans ces conditions, il a observé à peu près autant d’EMI agréables que désagréables, ce qui fait supposer un refoulement électif de ces dernières. Un travail récent de Greyson et Bush, portant sur cinquante observations, insiste sur la sous-estimation de la fréquence de ces cas, due aux résistances des sujets à rapporter des expériences effrayantes ou, pire, dévalorisantes, et au fait que les cliniciens ne sont pas souvent disponibles pour les écouter. II faut beaucoup plus de temps et d’efforts pour amener les sujets à les confier que pour des E.M.I. paisibles.
La mémoire panoramique peut s’insérer à divers moments de la séquence d’une E.M.l. Elle survient dès le début lors des accidents, noyades comme dans l’observation de l’amiral Beaufort déjà citée et chutes en montagne comme celles relatée par Albert Heim, dont nous citons les conclusions: « Dans de nombreux cas il s’ensuivait une révision soudaine du passé de l’individu dans son entier ». Le jaillissement automatique et rapide des séquences imagées intenses, accompagnées des implications émotionnelles correspondantes, parfois en présence d’une entité spirituelle, aboutit à un jugement de l’existence qui prend alors tout son sens.
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Bardo signifie « état intermédiaire » et, pour le bouddhisme, qui insiste sur l’impermanence universelle, nous sommes toujours dans un bardo, toujours en passage, toujours dans un flux entre une mort à un état et une naissance à un autre. Nous sommes ainsi dans le bardo de l’existence corporelle, traverserons le bardo de la mort, puis celui de l’existence intermédiaire entre cette mort et une naissance à un autre état corporel grossier, humain ou autre, ou à un état psychique pur, dans un corps dit subtil, non matériel, en attendant de trancher les attachements et identifications, même aux réalités subtiles, pour réaliser le nirvâna. Cette position est fondamentalement la même que celle de l’hindouisme, si l’on abandonne les querelles de vocabulaire sur le Soi et le Non–soi. Les connaissances traditionnelles sur le bardo de la mort proviennent des expériences de méditants tibétains, qui grâce à leur entraînement, conservent une pleine lucidité durant ce passage et le souvenir de la transition qui précède la renaissance. Cette maîtrise exceptionnelle et de surcroît exotique a confiné ces données, jusqu’à nos jours, dans le domaine des croyances invérifiables. Mais les enquêtes scientifiques menées, depuis plus de trente ans, par le professeur de psychiatrie Ian Stevenson et son équipe, sur les enfants se souvenant spontanément de leur vie antérieure, ont accumulé à ce jour plus de deux mille cinq cents dossiers démonstratifs sur ce phénomène impensable par la civilisation occidentale. Or sur les soixante quatre cas publiés dans tous leurs détails par Stevenson, treize avaient conservé des fragments de souvenirs du bardo.En y joignant sept cas observés par Francis Story en Asie, on pouvait donc se faire une idée du phénomène chez des êtres ordinaires.
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Revue Française de Yoga, n°13, « Passages, seuils, mutations », janvier 1996, pp. 39-56.