Nàda, la résonance phonique
Publié le 08 février 2004
La tradition indienne fait du son qui résonne la cause et la source de toute manifestation, de toute énergie, Shakti. Or les travaux de physiciens contemporains, si leurs hypothèses étaient confirmées, pourtaient bien donner un écho nouveau à cette tradition : en effet, dans leur univers la « corde » est l’élément fondamental, qui crée l’espace et le temps par sa vibration.
Quelques termes, que l’on trouve à la base de la tradition du Son en Inde, nous permettront d’entrer dans la conception de la résonance phonique, Nàda en Sanskrit.
Le VEDA, la somme des connaissances sacrées, est l’ensemble de la Révélation. Le terme lui–même signifie science, dans le sens de connaissance. Le Véda est éternel et établit que Shabda, le Son, le Mot est l’ensemble des signes phoniques qui le composent. Cela signifie que le Son, le Mot sont des moyens de connaissance.
Pour Abhinavagupta, auteur essentiel du Tantrisme du Cachemire au Xl siècle, la Parole prononcée à l’origine des temps est une force créatrice et efficace, une énergie Shakti cosmique et humaine dont l’homme peut s’emparer au moyen des Mantra.
Le mouvement de manifestation de l’énergie sonore primordiale, sous son aspect tantrique, peut être ainsi envisagé: se condensant peu à peu, la vibration sonore passe par une première résonance Nàda, devient goutte Bindu, et se divise pour donner naissance aux matrices des phonèmes, puis aux phonèmes eux-mêmes et aux paroles. La résonance Nàda provient donc de l’énergie phonique. […]
La cause et la source de toute manifestation est nommée Shakti, l’Energie : elle est l’aspect de Parole du premier Principe. Elle est la lumière de la Conscience, en tant qu’elle prend conscience d’elle-même, et cette prise de conscience lui donne vie. Cette énergie première, en tant que conscience vivante, source et substrat du devenir, est parfois décrite comme Spanda, terme que l’on peut rendre de façon imparfaite par « vibration », fulguration de la lumière de la Conscience, le premier ébranlement, source de toute vie. C’est la source vibrante de tout. […]
[…] Le Nàda est ce qui exprime, ce qui manifeste, révèle l’univers, d’où l’appellation tantrique de Sphota. Brahman étant la Réalité suprême, Shabdabrahman exprimera l’ensemble de l’énergie sonore productrice d’univers qui anime tous les êtres vivants, mais aussi l’élément de conscience qui existe chez toutes les créatures.
Mais Nàda, dans la perspective inverse du retour à l’énergie, est la résonance qui suit Bindu, la « goutte de son » qui condense la puissance du Mantra et marque « le retour de la conscience différenciée à la conscience pure ».
Abhinavagupta, dans le Tantràloka, définit Nàda comme ce qui reste de la prise de conscience synthétique du sujet conscient par lui-même, lorsque la pensée différenciatrice disparaît.
André Padoux ajoute : « On est donc ici à la jonction de l’énergie (qui est Parole) unie à Shiva et de la manifestation de cette énergie sonore. Ou encore, dans le processus inverse, au point où la Parole, le Son, manifestés, et la pensée différenciée – et donc, sur le plan cosmique, la manifestation – achèvent de se dissoudre en l’énergie.
Jayaratha, auteur tantrique du Cachemire lui aussi, décrit l’étape de Nàda comme « conscience transcendant l’univers et prenant conscience d’elle-même ». Nâda, précise-t-il, est un son non-frappé Anàhata, pratiquement non manifesté… Il cite encore le Tantràloka qui affirme: « Le seul phonème qui ait pour nature Nàda, qui ne se divise pas en tous les autres phonèmes, on l’appelle non-frappé car il est indestructible ».VI 217. II s’agit donc d’une vibration sonore perpétuelle et c’est en ce sens qu’il est non-frappé, subtil. Car seul un son qui ne résulte pas d’un choc, c’est-à-dire d’un moyen matériel, peut être éternel.
Jayaratha, commentant le Netra Tantra, ajoute : « Ce bienheureux Nàda est la pure lumière de la conscience suprême lorsqu’elle prend conscience à la fois d’elle-même en tant que contenant l’objectivité, et de cette objectivité qui repose en elle, comme incréées, identiques en nature et reposant dans le même substrat ».XXI,65.
L’énergie sonore, après s’être rassemblée sur elle-même, se divise en trois portions qui distinguent ses éléments puis les recomposent.
Bindu lumineux représente l’aspect de Shiva, Bija l’aspect dynamique de Shakti. Nàda les associe dans sa résonance créatrice.
Nàda conserve, dans tous les systèmes de cosmogonie du Son ou de la Parole, « la valeur d’une vibration phonique très subtile et très pure, d’une forme très élevée d’énergie de la Parole ». […]
La conque
L’Inde voit le son originel comme un chaos sonore. Le son est désordonné, chaotique et représente le cosmos en train de se former. Il s’agit d’une première expérience de l’évolution du monde: celle-ci semble nous mener à la régression, mais elle n’est pas négative pour autant; elle nous ramène à l’état primordial. En effet, le tohu-bohu n’est pas le désordre de la destruction mais celui à partir duquel va se créer l’ordre organique : du son désordonné apparaît la Parole organique qui est l’image de la vie et évoque le mystère du cosmos.
Pendant les cérémonies des temples, les instruments, percussions et flûtes expriment le chaos d’une façon particulièrement sonore, et ce sont les Mantra des moines qui rétabliront l’unité de l’univers. On voit là l’importance donnée à la participation humaine dans la recréation de l’harmonie perdue du monde.
Pour tout Indien, le symbole matériel du Son c’est la conque, car pour lui le son se diffuse dans toute la réalité quotidienne. Au début de la Bhagavad Gîta on peut entendre un concert de conques, mais elle est sonnée lors de toutes les manifestations heureuses de la vie.
La conque est une trompe enroulée sur elle-même : c’est une spirale qui peut croître indéfiniment. Elle est à l’image de la création qui, pour l’Inde, n’est pas fixe. Celle-ci part d’un point et se développe pour enfin se résorber en un point.
Vishnu, dont un des symboles est la conque, conserve les choses du monde parce qu’il est le point originel. Il porte la conque car il résorbe tout en lui-même et porte en lui la création nouvelle. L’espace et le temps, dans un mouvement spiralé, peuvent se résorber en un point ou se développer. Alors la distinction espace-temps existe-t-elle encore? La Physique contemporaine n’a-t-elle pas montré que les mesures du temps et de l’espace étaient semblables et pouvaient s’inverser? […]
En physique
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Les démarches de la Physique contemporaine nous sont transmises par Brian Greene dans son ouvrage « l’Univers élégant ». Il nous fait entrer dans la compréhension de la théorie des « cordes ». Au delà des atomes et des particules qui les constituent, le plus petit objet qui puisse exister serait une minuscule corde qui vibre, les modes vibratoires déterminant les caractéristiques des particules.
Le Physicien Brian Greene et nombre de physiciens aujourd’hui pensent que, depuis le big-bang qui a donné naissance à l’univers, au temps et à l’espace, sans relâche se poursuit une ascension vers la complexité. « A partir d’un vide subatomique, l’Univers en expansion ne cesse de s’agrandir et de se diluer. Se sont constitués successivement les quarks et les électrons, les protons et les neutrons, les atomes, les étoiles et les galaxies… L’infiniment petit a donc accouché de l’infiniment grand, et pour comprendre l’origine de l’Univers et, par conséquent, notre propre origine, il nous faut une théorie physique qui soit capable d’unifier la mécanique quantique avec la relativité et décrire une situation où les quatre forces fondamentales qui contrôlent l’Univers sont sur un pied d’égalité ».
De longues recherches ont mené ces Physiciens à la théorie des « supercordes » selon laquelle les particules résulteraient de la vibration de bouts de cordes infiniment minuscules d’une longueur de 10-33 centimètres. […]
Mais la théorie est loin d’être complète, pense Brian Greene, et le chemin à parcourir pour parvenir au but final est encore très long, dit-il, et extrêmement ardu. « Elle est enveloppée d’un voile mathématique si épais et si abstrait qu’elle défie les talents des meilleurs physiciens du moment ».
Tentons de suivre d’un peu plus près la démarche des physiciens contemporains.
Albert Einstein chercha sans répit une théorie dite unifiée qui décrirait toutes les forces de la nature dans un cadre unique, cohérent et tout-puissant. Il n’accomplit jamais son rêve. Certains des aspects essentiels des forces de la nature et de la structure de la matière étaient ignorés ou mal compris.
Einstein a démontré que l’espace et le temps ont un comportement très étrange. Aujourd’hui, ses découvertes ont été intégrées à un univers quantique présentant de nombreuses dimensions cachées, entortillées dans la structure de l’espace-temps.
La théorie des supercordes fait appel à nombre de découvertes physiques fondamentales. L’essentiel des recherches de Brian Greene porte sur les conséquences de la théorie des cordes pour notre conception de l’espace-temps.
Ce jeune chercheur expose le problème des physiciens actuels. La Physique repose sur deux piliers: la relativité d’Einstein qui décrit la nature à grande échelle, et la théorie quantique qui la décrit à petite échelle. Les prédictions de chaque théorie ont été amplement confirmées par l’expérience, et cependant elles sont incompatibles. Les physiciens doivent user soit de la mécanique quantique soit de la relativité générale.
Il faudra la théorie des supercordes pour prouver que les deux théories ne sont non seulement pas incompatibles mais qu’elles deviennent mutuellement indispensables pour que cette théorie des cordes ait un sens. L’union des lois du petit et du grand s’harmonise mais, qui plus est, elle s’avère incontournable. La théorie des cordes montre que toutes les merveilles de l’Univers sont issues d’un seul principe physique, d’une unique équation fondamentale. Mais ceci nécessite de révolutionner notre conception du temps, de l’espace et de la matière. […]
Le simple fait que la matière soit constituée, au niveau le plus élémentaire, de cordes plutôt que de particules ponctuelles, nous délivre de l’incompatibilité entre relativité générale et théorie quantique, affirme Brian Greene.
La théorie des cordes stipule que les propriétés des particules connues ne sont que le reflet des diverses façons dont vibre une corde, selon plusieurs fréquences de résonance. Les modes de vibration de nos cordes élémentaires ne sont pas des notes musicales mais des particules dont la charge ou la masse sont déterminées par le mode vibratoire de la corde. […]
On s’accorde en général, précise Brian Greene, sur le fait que la découverte de la, « théorie du tout » ne résoudrait en rien la psychologie ou la biologie, ni la géologie, ni la chimie, ni même la physique… Sa découverte marquerait un commencement, pas une fin.
Cependant, la théorie des cordes est capable de répondre à des questions capitales sur les forces et les constituants fondamentaux de la nature. Si cette théorie est juste, alors la structure microscopique de notre Univers est un labyrinthe multidimensionnel, richement imbriqué, au coeur duquel, indéfiniment, les cordes dansent, vibrent et se tordent, rythmant ainsi les lois du cosmos. »
Les expériences physiques se poursuivent: elles mènent à la conclusion que toute la matière a un aspect ondulatoire. […]
Les carnets du yoga, n°222, avril-mai 2003, pp. 2-15.