Passage ? Pour aller où et comment ?
Publié le 02 octobre 2003
Le projet du psychologue Projo Sierra est d’approcher avec le plus de précision possible ce qu’est la conscience. Pour ce faire, il distingue différents degrés de conscience. Dans cette optique, il est possible de travailler à élever son niveau de conscience. La détente contrôlée et la méditation en sont de bons exemples.
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Projo Sierra envisage quatre paramètres qui définissent un état de conscience, chaque valeur étant fluctuante et indépendante des trois autres: l’ampleur, la complexité, la clarté, le tonus. La modestie de l’auteur lui fait accepter que ces termes soient des approximations et qu’il serait possible d’utiliser d’autres mots.
L’ampleur: contempler la voie lactée, écouter une symphonie de Beethoven, font plus que de créer une attirance; une sensation d’émerveillement semble ouvrir l’esprit; l’ampleur de l’état de conscience est accrue. La clarté: un sentiment de tendresse profonde, éprouvé sans réticence, de tout coeur, donne une impression de lumière intérieure, la clarté augmente. La complexité d’un état de conscience peut évoquer un combat intérieur, un déchirement entre plusieurs sentiments contradictoires. Dans son grand roman « Les Misérables », Victor Hugo a intitulé un de ses chapitres « tempête sous un crâne ». Le héros se torture pour prendre une décision dont toute sa vie va dépendre. La complexité implique aussi le nombre de données à envisager pour résoudre un problème comportant de multiples paramètres, venir à bout de la faim dans le monde, par exemple. Les ordinateurs sont alimentés pour donner des réponses rapides à certaines questions, alors qu’un homme seul y passerait trop de temps, c’est un maximum de complexité que ne peut atteindre l’être humain. Le tonus évoque l’intensité, la force d’intérêt qui fixe l’attention sur le contenu du moment; l’intérêt est irrationnel, il ne peut être ni commandé, ni mesuré. Les quatre paramètres sont intimement liés.
En résumé, un état de conscience est doté d’un contenu, si l’intérêt est suffisant pour maintenir l’attention sans défaillance, la complexité est celle du nombre de circuits nerveux investis, l’impression d’ouverture détermine l’ampleur. Les sentiments de joie, de simplicité, de vérité d’une expérience vécue, éclairent l’esprit d’une lumière intérieure. On s’élève sur l’axe vertical, ce qui est le but de la méditation. L’hypothèse de Projo Sierra étant acceptée, il est facile de créer une situation personnelle qui détermine un changement de l’état de conscience. Le meilleur exemple est celui de la détente contrôlée.
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La vie est une succession de passages. La naissance est prolongée par l’enfance, puis l’adolescence. L’âge mûr précède la vieillesse et le cycle s’achève par la mort. Ces passages inéluctables se succèdent de façon insensible, ils sont sanctionnés par une série d’abandons inévitables. On délaisse les jeux de l’enfance, puis les rêves utopiques des teenagers pour s’installer dans un cadre façonné par la contrainte sociale, le rôle que l’on doit assumer ou que la destinée impose; il arrive un moment au cours duquel il n’y plus abandon naturel mais régression. Les personnes âgées deviennent de plus en plus dépendantes de leur entourage, leur mobilité diminue comme leur mémoire et leur raisonnement. Aucun projet n’est possible, il ne demeure que le regret du passé et quelques souvenirs. Cette fatalité semble écrasante pour qui l’examine sérieusement, elle engendre la résignation, la morosité ou l’angoisse: le psychanalyste Pierre Daco affirme « tout être intelligent est angoissé – c’est le lot de tout homme qui réfléchit peu ».
Or si la vie terrestre est prévisible, l’activité de l’esprit n’est pas limitée par ces contingences. Le seul moyen de ne pas s’enliser dans le marasme de l’âge est de rechercher et de découvrir ce qui ne dépend ni du temps, ni de l’espace. Cette recherche a existé depuis la plus haute antiquité en Europe comme en Orient. De nombreux témoignages nous sont parvenus, ceux des voyants, des philosophes et des maîtres anciens. Il y a autre chose que la vie matérielle, ses distractions, ses plaisirs ou ses peines, c’est une réalité intérieure, une conscience élargie de l’Etre qui est en nous depuis toujours, mais que l’activité mentale opacifie au point de la faire disparaître complètement, car « quand vous êtes pris dans le réseau des activités de l’esprit, vous ne pouvez le voir dans sa réalité ». Ce réseau des activités de l’esprit est le contenu d’un état de conscience avec les pensées, les jugements, les émotions. Dhirawansa ajoute un commentaire « La libération de la pensée n’est réalisable qu’en l’absence de la peur du vide mental, de la criante selon laquelle sans elle, l’inconscient nous anéantirait ». Une expression très ancienne affirme que la Nature a horreur du vide ce qui, physiquement, est vérifié. Il y a toujours quelque chose dans l’espace que nous connaissons, en train de transiter entre les corps existants, ondes magnétiques, rayons cosmiques, forces d’attraction ou de répulsion, et certainement beaucoup plus encore – qui reste à découvrir.Parler du vide est une expression scientifique spécifique, mais non absolue, car le vide ne peut exister, ni dans l’espace, ni dans l’esprit. On peut provoquer le vide d’air, l’asepsie totale en éliminant les microbes, l’absence de pesanteur, mais pas le vide absolu. Il y a confusion entre vide et néant, le néant impliquant la disparition de la personne absorbée par des forces inconnues, mais c’est pure imagination.
Faire le vide dans l’esprit consiste à sentir ce qui existe dans l’instant, à laisser se développer les sensations à leur gré par une attention portée à l’être tout entier, en oubliant le sentiment du « moi ». C’est une vacuité mentale et non une absence, on se sent au contraire très présent.
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Revue Française de Yoga, n°13, « Passages, seuils, mutations », janvier 1996, pp. 133-148.