Prâna : concept du principe universel
Publié le 29 septembre 2003
Les textes traditionnels indiens classent l’énergie au rang de principe cosmique et individuel tout à la fois. Vitale, cette énergie se manifeste sous des formes variées, complémentaires et indissociables. Il faut tenir compte de ces divers aspects pour comprendre l’homme et son univers.
« Dans le foisonnement de ses différents points de vue, l’Inde classique accorde une place fondamentale à la notion d’Energie. Revêtant différents noms, notamment prâna, shakti, vâyu, kundalînî, le concept d’énergie représente à la fois la source ineffable de la création, les forces en jeu dans l’univers, l’énergie vitale présente en chacun de nous, et la faculté de conscience individuelle et cosmique. Cette perception de l’Univers est « révélée » au sein de textes fondateurs employant une terminologie riche de symboles et de comparaisons.
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Prâna ne se présente pas uniquement comme un concept métaphysique: il est aussi un élément agissant diversement sur le plan individuel (cf. la Amritananda Upanishad V.34,35). Indispensable à la vie et à la santé du corps physique, il se subdivise sous le nom de vâyu en cinq prâna mineurs (énergies secondaires): prâna, apâna, samâna, udâna, vyâna.
Prâna proprement dit correspond à l’énergie ascendante; il est associé à l’inspiration, à l’absorption et sert d’intermédiaire entre les corps grossier et subtil. Apâna, l’énergie vitale descendante, préside à l’élimination et à l’excrétion. Samâna règle la digestion et l’assimilation. Udâna régit l’expression, l’expiration, les mouvements pulmonaires. À la mort physique, il quitte le corps grossier dans l’exhalation du dernier souffle, comme l’ultime restitution de l’énergie vitale. Udâna participe à l’ascension du courant énergétique spécifique de Sushumnâ (canal central subtil longeant la colonne vertébrale). A ce titre, il est associé à la mort symbolique du yogi qui, lors de son éveil, abandonne l’existence ordinaire pour naître dans la grande réalité. Vyâna dirige le métabolisme, la circulation du sang et assure la cohésion du corps physique.
Les cinq vâyu circulent en permanence à travers le prânamayakosha, le corps de l’énergie, constitué des canaux de circulation énergétique, les nâdî, et de carrefours de la conscience énergie, les chakra. La pratique du Yoga intervient sur le mouvement et la régulation des énergies par une action sélective, au moyen d’une action mobilisant tour à tour toutes les facultés de l’être humain. En développant l’attention, la vigilance, elle favorise l’épanouissement de la sensibilité profonde et facilite l’écoute de ces déplacements énergétiques subtils.
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Prâna, l’énergie, s’observe au travers de huit facettes déterminantes du fonctionnement humain. Cinq d’entre elles représentent les facultés d’expression -gestuelle, parole, souffle, activité mentale, sexualité- sur lesquelles il est possible d’intervenir volontairement; les trois autres constituent des fonctions physiologiques: digestion et assimilation, circulation sanguine, système nerveux dont les réponses sont induites et peuvent en partie être influencées par les facultés d’expression. La qualité de l’énergie d’un individu caractérise son comportement. Elle influence son mode d’action et de réaction face aux stimulis internes et externes, et définit son tempérament.
La gestuelle
Par la façon de se mouvoir, l’individu trahit bien malgré lui son état d’être énergétique physique et psychologique. Suivant son pas léger ou lourd, sa démarche vive ou lente, ses mouvements liés ou saccadés, il est facile à tout observateur attentif de déceler en lui une tonicité de bon ou de mauvais aloi (joie, bien-être, ou fébrilité, nervosité), ou au contraire une lassitude, une gêne, une anomalie physique quelconque. Le corps finit par s’engluer, sans que l’individu en soit conscient, dans des attitudes le plus souvent mauvaises, résultant d’habitudes entretenues depuis de nombreuses années. « L’habitude est une seconde nature », dit-on familièrement. Elle a le pouvoir de se superposer à une façon d’être originelle et de la masquer. Il est possible, notamment grâce au Hatha-Yoga, d’améliorer ses gestes et son attitude au moyen d’une vigilance physique reconquise peu à peu par un entraînement régulier. Le corps est le seul instrument dont nous disposons pour nous exprimer dans le monde. Il est donc essentiel de l’entretenir au mieux et de le respecter. Sa verticalité exige une colonne vertébrale en bon état. Mais trop souvent, la fatigue et les soucis courbent la tête, enroulent les épaules, suscitent bien des douleurs de dos. Et le moral, complice, s’assombrit, le désir, instigateur de la vie, s’amenuise…
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La parole
La parole est énergie; mode de communication par excellence, elle est un message sonore organisé issu du cerveau conscient d’un individu dans le but de capter l’attention de l’autre. L’échange oral entre deux consciences en présence nécessite une consommation d’énergie très importante. C’est pourquoi il est si pénible aux personnes affaiblies d’ordonner un discours, de soutenir une conversation ou de proférer quelques paroles. Au-delà de son rôle de transmission, la parole reflète le caractère, l’état émotionnel et l’intention de l’individu, bien plus qu’il ne le voudrait parfois Le rythme, la tonalité, le choix des mots sont autant de langages sous-jacents que l’on peut apprendre à décoder et à soumettre par des techniques simples, pour gagner en efficacité, en persuasion, ou tout simplement pour obtenir un meilleur organe vocal.
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Le souffle
Pour le yoga, le souffle est énergie, il est le meilleur moyen pour agir et prendre soin de prâna. L’acte respiratoire est fondamental. Il est le seul, parmi les grandes fonctions organiques régies par le système nerveux végétatif ou autonome, sur lequel puisse s’exercer un contrôle immédiat. C’est pourquoi il va pouvoir servir d’intermédiaire entre le geste, la parole, le mental et le système nerveux.
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La sexualité
L’énergie sexuelle représente l’énergie génétique bien sûr, mais également l’énergie génératrice de l’action. […]
La digestion et l’assimilation
Dans le Hatha Yoga, elles constituent une base fondamentale pour la santé énergétique de l’individu. Ces deux fonctions s’effectuent plus ou moins lentement selon le volume du bol alimentaire ingéré et le mode de vie, sédentaire ou actif, de chacun. La qualité et le choix des aliments demandent un grand discernement de ses besoins réels et une connaissance de sa capacité digestive. Si l’énergie mobilisée lors de ces fonctions est trop grande, il peut y avoir pénurie d’énergie dans un autre mode d’activité tout aussi important. […]
La circulation du sang
La circulation sanguine va de pair avec la circulation de l’énergie vitale dont elle est l’un des reflets. Le coeur et les vaisseaux constituent l’unité de l’appareil circulatoire. Le cour fonctionne comme une pompe, ses contractions régulières permettent au sang de circuler dans toutes les parties du corps. L’état circulatoire d’un individu se manifeste par différents signes extérieurs: rougeurs, marbrures, varicosités, pieds et mains gelés, frilosité ou transpiration excessive, anomalie du rythme cardiaque… […]
L’activité mentale
C’est elle qui contrôle tout le processus de l’énergie vitale. « Le manas (activité mentale) et le prâna sont mêlés l’un à l’autre comme le lait et l’eau, et leur activité est égale. Là ou il y a manas, le prâna entre en activité ». (Hatha- Yoga Pradipika, IV,24).
Cette fonction n’a d’ordinaire pas de trêve; elle nous submerge, nous harcèle de souvenirs, nous tiraille vers un futur imaginaire, nous entraîne d’une idée vers une autre sans nous laisser le temps de « souffler « . L’activité mentale résulte de sollicitations diverses, internes ou externes, imaginaires ou rationnelles, métaphysiques ou physiques. Son moteur est alimenté par le désir, et la peur sa compagne. Or le propre du désir est de ne jamais être assouvi. […] ”
Revue Française de Yoga, n°15, « L’énergie en question », janvier 1997, pp. 13-50.