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Pratiques de maternage en Inde du sud

Publié le 21 juin 2005

Selon la tradition médicale indienne il est nécessaire de ménager la mère enceinte car elle-même et son embryon sont interdépendants et forment une unité indissociable. En outre, la naissance d’un individu mâle est favorisée dans la société et de ce fait encouragée dans les rituels.

« Les routines de soins infantiles, en Inde, s’inscrivent dans une tradition millénaire dont on peut suivre la trace à travers les grands textes de la médecine traditionnelle, l’âyurveda, et les textes du rituel domestique, les grihyasûtra, qui leur donnent en quelque sorte leur fondement. »

« J’aborderai successivement: la conception unitaire de la mère et du bébé selon la théorie médicale traditionnelle de l’Inde ; la préférence marquée de la société hindoue pour la naissance de fils; la description des routines de soins quotidiens dans lesquels s’intriquent les préoccupations hygiéniques et religieuses ou magicoreligieuses. »

L’UNITE DE LA MERE ET DU BEBE SELON L’AYURVEDA

« Selon la doctrine classique, le cour du foetus commence à battre au troisième mois, et c’est cet organe qui est considéré comme le siège de la vie psychique et de la conscience. A partir de ce stade dénommé dauhrida, ce qui équivaut selon une étymologie populaire couramment acceptée mais grammaticalement discutable (1), à « deux cours » – celui de la mère et celui du bébé -, les désirs que la mère éprouve durant la grossesse seraient l’expression directe de ceux de l’enfant, la transmission s’effectuant par les vaisseaux, nâdî, qui vont du cour de l’embryon à celui de la mère. Aussi, l’ensemble des textes convergent-ils, de même que la tradition populaire, pour préconiser, dès le troisième mois de la grossesse, qu’on satisfasse les désirs de la femme enceinte, car du fait du non-accomplissement des désirs de celle-ci, l’anormalité ou la déchéance de l’embryon pourraient survenir. »

« Mais, dans la doctrine classique de l’Inde, l’importance accordée aux envies et aux désirs de la femme enceinte va bien au-delà de la reconnaissance d’un phénomène banal de la grossesse, car elle est rattachée à une théorie de la vie psychique embryonnaire en rapport avec la croyance couramment admise en la transmigration et en la multiplicité des existences parcourues par un même individu. »

« A partir du troisième mois de la vie embryonnaire, les ébauches des membres et de la tête se forment, de même que les sens, indriya. Avec l’apparition de la conscience, cetanâ, au niveau du cour du foetus, celui-ci serait capable d’éprouver le plaisir et la peine, ainsi que des désirs qui résulteraient de ses expériences passées effectuées dans des vies antérieures. Au cinquième mois, le fonctionnement mental, manas, se développerait tandis qu’une faculté supérieure, buddhi, l’intelligence ou faculté de discrimination (selon la manière dont on traduit ce terme) n’apparaîtrait qu’au sixième mois.

Ainsi, selon cette conception très élaborée de la vie psychique embryonnaire, c’est parce que les désirs éprouvés par la mère durant sa grossesse (des désirs souvent très vifs, apparaissant parfois bizarres de prime abord) réfléchissent les désirs propres du foetus, qu’on doit leur accorder la plus grande attention et les satisfaire à tout prix pour le bien-être de l’enfant à venir.

Toutefois, cette communication entre la femme et l’enfant ne s’effectuerait pas seulement du foetus à la mère, mais aussi, par un juste retour, de la mère au foetus. Les sentiments, les pensées éprouvés par la mère durant sa grossesse, de même que sa conduite, seraient susceptibles d’affecter le développement de l’embryon. Aussi, la période de la grossesse est-elle riche en prescriptions multiples, hygiéniques, diététiques, et médicamenteuses mais aussi psychologiques, et ce dernier point constitue un aspect tout-à-fait caractéristique de la doctrine médicale en Inde. En conséquence, il est d’usage d’épargner à la femme enceinte, dans la mesure du possible, les contrariétés et les émotions. »

LA PREFERENCE MARQUÉE DE LA SOCIETE HINDOUE POUR LA NAISSANCE DE FILS

« (…) seul le fils – et non la fille – a le pouvoir d’acquitter son père de la dette à l’égard des ancêtres dans la mesure où il est habilité, avec l’aide d’un prêtre, à pratiquer le rituel funéraire, shrâddha, qui assure au père ainsi qu’aux mânes la paix de l’âme et l’accès au ciel, svarga, en les libérant de l’enfer.

La préférence pour la naissance d’un garçon est encore surdéterminée par le fait que, du point de vue économique, ce sont les fils qui assurent la continuité du groupe familial et sa cohésion puisque, après leur mariage, ils continuent de demeurer avec leur épouse et leurs enfants sous le toit parental, réalisant la famille indivise, ou élargie. »

« Dans ce contexte, on ne peut s’étonner que la femme enceinte vive sa grossesse dans l’attente d’un garçon, d’autant que seul celui-ci lui donnera son véritable statut et lui vaudra d’être vraiment reconnue au sein de sa belle-famille. »

« Les textes médicaux anciens n’hésitent pas à inclure parmi les prescriptions destinées à favoriser la naissance d’un garçon, la pratique d’un rite religieux dit de « postérité mâle », pumsavana. Ce rite a pour but d’induire le sexe masculin chez le foetus, voire même de modifier le sexe initial dans le sens masculin. La plupart des textes de rituel domestique et l’ensemble des textes médicaux s’accordent pour prescrire cette cérémonie durant les premiers mois de la grossesse (…) »

SOINS INFANTILES

« La conception unitaire de la mère et du bébé qu’on a décrite plus haut se révèle nettement à l’occasion des différentes postures adoptées par la mère au moment du bain ou de la sieste qui lui fait suite. Le traditionnel bain à l’huile, donné au bébé à un rythme bi-hebdomadaire, apparaît comme une activité hautement ritualisée au cours de laquelle se mêlent les gestes à visée proprement hygiéniques avec des pratiques d’inspiration religieuse ou magico-religieuse. »

« L’intérêt de la technique indienne du bain des bébés réside, du point de vue psychologique, au-delà de la signification symbolique de certains gestes, dans le fait qu’il s’agit d’une pratique d’intégration du corps qui est riche en stimulations vestibulaires et kinesthésiques, dont on connaît l’importance sur le développement moteur et sensoriel du tout-petit. De surcroît, cette pratique favorise le contact cutané entre l’adulte maternant et le bébé, un mode de contact et d’échange qui revêt une grande importance pour l’établissement du sentiment de sécurité émotionnelle au début de la vie. »

« La posture adoptée par les femmes pour donner le bain au nourrisson est identique depuis des siècles, comme on peut le constater à partir d’une étude de l’iconographie. Ainsi se transmet une tradition populaire de puériculture d’une très grande richesse et qui confine, en Inde, à une véritable éthique de la maternité et de la petite enfance. »

« Une réflexion sur les conditions optimales de développement de l’enfant selon son environnement passe nécessairement par l’échange des regards et le dialogue entre les cultures. La double approche des techniques de maternage par la tradition écrite et par l’observation filmique, apparaît comme une priorité à l’époque actuelle qui voit s’accélérer la tendance à l’uniformisation de la culture à travers le monde. Elle peut permettre d’archiver et peutêtre de préserver, dans une alliance de la modernité et de la tradition, certaines coutumes et pratiques qui paraissent bénéfiques au développement sensori-moteur et émotionnel du petit enfant. »

Revue Française de Yoga, N°19, « Religions en Inde aujourd’hui. », février 1999, pp.181-194.

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