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Rêve, sommeil paradoxal et neurosciences

par Eliane Mittelman | Publié le 03 octobre 2003

Les recherches menées sur le sommeil paradoxal ont permis d’explorer un peu lus avant les caractéristiques du rêve. Cela a permis une meilleure appréhension, si ce n’est des mécanismes, du moins des manifestations physiques du rêve. Mais le problème majeur reste entier : pourquoi rêve-t-on, à quoi le rêve sert-il?

« […]
L’histoire de l’étude neuroscientifique du rêve commence en 1953, lorsque les chercheurs américains Aserinsky et Kleitman mettent en évidence que, lors de certaines phase du sommeil, se produisent des mouvements oculaires rapides (en français M.O.R., en anglais Rapid Eye Movements, ce qui leur vaudra communément le nom de phases R.E.M.). Cette observation, jointe aux progrès de l’évaluation de l’activité électrique du cerveau (le psychiatre allemand Berger avait, vers 1930, inventé dans l’indifférence générale l' »ancêtre » de l’électro encéphalogramme), aboutit à la constatation que ces phases REM, sont en même temps des phases d’activité électrique intense. […]

Mais revenons aux premières observations, et aux questions passionnantes qu’elles ont suscitées chez leurs auteurs. En fait, différentes phases du sommeil avaient été identifiées dès 1935, par Loomis, et faisaient l’objet du classement suivant: Stade A (somnolence, ondes alpha de rythme discontinu), Stade B (assoupissement, ondes alpha de rythme atténué), stade C (sommeil léger, stade de fuseaux apparaissant sur ondes lentes de bas voltage), stade D (sommeil profond avec ondes delta lentes de haut voltage et fuseaux), stade E (sommeil surprofond avec ondes delta très amples et absence de fuseaux). La classification de Dement et Kleitman, en 1957, regroupera grosso modo les stades A et B de Loomis en un stade I. « C’est au stade I, mais seulement quand le sommeil émerge de niveaux plus profonds, que, pour Kleitman et son école, se produisent les phases de mouvements oculaires rapides paraissant correspondre au rêve. De telle sorte que les caractéristiques électriques du sommeil contenant le rêve seraient celles d’un état de sommeil très voisin de celui de la veille. Mais comme ce qui distingue aussi cette phase de sommeil, c’est que celui-ci y est extrêmement réfractaire aux sollicitations externes, (…) on comprend que ces phases de sommeil, où le rêveur paraît hypnotisé par son rêve bien que peu profondément endormi, ont pu être appelées par Jouvet les phases paradoxales « .

Ces phases paradoxales ont donc pu être identifiées grâce à la mesure de trois paramètres:

– Des mouvements oculaires rapides enregistrés graphiquement à l’électro-oculogramme,
– des ondes de forme unique et caractéristique, en « dents de scie », enregistrées graphiquement à l’électro-encéphalogramme – en synchronisme presque parfait avec les M.O.R. constatés,
– la suppression de toute activité à l’électro-myogramme (enregistrement graphique de l’activité musculaire montrant les potentiels électriques engendrés par les fibres), signe d’une parfaite atonie.

Elles s’accompagnent d’une accélération des fréquences cardiaque et respiratoire, de contractions musculaires passagères auxquelles on a donné le nom d’activités phasiques, et d’érection chez l’homme adulte et chez le nouveau-né. On note une tendance au réveil à la fin de chaque phase paradoxale. On note aussi qu’une phase de sommeil lent est nécessaire au déclenchement d’une phase paradoxale; sauf certains cas pathologiques (narcolepsies), on n’entre jamais directement en sommeil paradoxal.

Sommeil « profond » bien que rapide et proche par son tracé de l' »état de veille », atonie musculaire générale et mouvements oculaires rapides et saccadés survenant par salves de 2 à 5 secondes en se répétant 5 à 10 fois par minute, telles sont donc les caractéristiques de ces phases paradoxales où l’homme et l’animal apparemment endormis ont cependant un cerveau en pleine activité. Nous reviendrons plus loin aux travaux de Dement (école de Chicago) qui ont tenté de mettre en évidence la concomitance des phases de rêve et des phases paradoxales. Le même Dement identifie en 1958 une phase de sommeil à mouvements oculaires rapides chez le chat, ce qui permet des expériences de lésions de certaines parties du cerveau que Michel Jouvet pratiquera abondamment à Lyon pour faire avancer ses recherches sur les localisations cérébrales.
[…]

L’hypothèse la plus séduisante émise – et un temps vérifiée – par Jouvet est celle de l’omnipotence de la sérotonine, substance du groupe des catécholamines, dont on avait découvert en 1953 la présence dans le cerveau (et plus particulièrement dans le tronc cérébral), et soupçonné l’impact psychique étant donné son « antagonisme » avec le L.S.D.. Connue d’abord comme hormone, la sérotonine fait donc l’objet de nombreuses manipulations destinées à mettre en évidence son rôle déterminant dans le déclenchement du sommeil paradoxal, auquel on cherche désespérément une cause neuronale, après en avoir déterminé la localisation. D’autres substances endogènes (réserpine, atropine), faisant fonction de « neurotransmetteurs » sont testées par la même occasion. Or – malheureusement pour Jouvet, heureusement pour le mystère du rêve – la sérotonine s’avère être plutôt responsable du sommeil lent, puis démontre, en une ultime expérience, qu’elle n’est en rien nécessaire au sommeil. L’équipe lyonnaise, décontenancée, en est réduite à abandonner la trop séduisante hypothèse, tout en poursuivant (autour des peptides, entre autres) ses recherches biochimiques et pharmacologiques. On s’explique mieux ainsi comment les chercheurs les plus honnêtes en sont arrivés, par étapes, à avouer leur perplexité devant le phénomène du rêve, abandonnant à quelques naïfs entêtés les affirmations péremptoires qu’à leurs débuts ils émettaient aussi.
[…]

Juste (et tardif) retour des choses : l’honnêteté intellectuelle nous amène à reconnaître que les neurosciences françaises ont « réintégré » l’humain, et son processus d’individuation (génétique), grâce à la dernière hypothèse de Jouvet concernant la reprogrammation génétique cyclique possiblement associée au rêve, dont elle pourrait être une ou LA fonction. Alors que la recherche semble actuellement se perdre, outre Atlantique, dans une abstraction neuronale imprégnée davantage des schémas impérialistes et compétitifs d’une société digne des Temps Modernes (je pense à ceux de Chaplin) que du moindre « sujet » (humain) benoîtement abandonné aux délices (ou aux terreurs) d’un défilé d’images oniriques dans lequel il serait directement impliqué. L’homme-machine (à réussir dans la vie) engendre le cerveau-machine (à réussir son rêve jusqu’à pouvoir le rendre « lucide », et surtout non cauchemardesque), le cerveau-esprit (de Hobson) engendre la machine-esprit: où l’on s’aperçoit que l’homme a disparu de la formule, et où l’on peut se demander si rêve l’ordinateur, et s’il rêve d’ordinateurs. Auquel cas son rêve serait neuronal (C.Q.F.D., gageons que cela a déjà été démontré).
[…]”

Revue Française de Yoga, n°17, « Rêver », janvier 1998, pp. 13-38.

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