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Rêver sa vie et vivre ses rêves

par Anne Fraisse | Publié le 17 mai 2005

Pour peu que l’on y réfléchisse, nos rêves nous apprennent toujours beaucoup de nous-mêmes et nous aident même parfois à progresser ou à prendre des décisions importantes. Qu’il s’agisse de « rêves d’ombre », de « rêves d’enseignement », de « rêves fondateurs » ou libérateurs, ils sont indispensables à notre santé psychique et expriment notre rapport au monde et à nous-mêmes.

« Il est des rêves qui bouleversent, bousculent et provoquent des prises de conscience suivies de décisions ; ils sont vécus soit sur le mode de la révélation, d’une évidence qui s’impose, soit sur le mode d’un approfondissement, de la confirmation d’une inclinaison ultérieure. Ce type de rêve n’est pas fréquent. Bien heureux celui qui en fait l’expérience ! Inspiré et dépositaire de tels rêves, rêve lumineux, rêve d’enseignement, rêve de l’ordre du soi, le rêveur Vit cette expérience comme un cadeau mais aussi comme une épreuve ; respecter le rêve, telle sera sa quête et sa responsabilité.

Dans la tradition amérindienne, ce genre de rêve est bien connu. Les Amérindiens peuple de rêveurs, distinguent le rêve ordinaire du rêve initiatique ou grande vision qui permet au rêveur de connaître sa mission, sa place dans le monde, la direction à prendre pour sa vie ou les responsabilités à assumer dans la communauté. La grande vision peut être dévoilée jeune et ce fut le cas pour Elan Noir qui reçut à l’âge de cinq ans les enseignements de ses six grands-pères ; mais cette quête peut être aussi volontaire pour un adulte Ce sera par des rituels, des ascèses, des jeûnes, des sweat lodges ou huttes de sudation (2) que le postulant se préparera l’accueil de la grande vision ; celle-ci consiste, après s’être en tenu avec le chaman, l’homme ou la femme-médecin, à partir sur la montagne sans nourriture et à rester trois jours, soit une « fosse à rêver », soit sur un « lieu de pouvoir » pour invoquer, prier, demander, attendre et accueillir la grande vision ; l’apprenti redescend dans la vallée pour partager son expérience avec les anciens qui lui confirmeront sa grande vision et sa mission, au contraire, l’inviteront à se préparer davantage et à recommencer l’épreuve plus tard.

Aujourd’hui dans notre culture, avons-nous cette croyance Avons-nous cette attente ? Accordons-nous de la considération au langage onirique ? Faisons-nous confiance à l’inconscient et a: mode d’information ? »

UN REVE FONDATEUR: LE RIRE

« En 1983, au mois de novembre, le jour, ou plutôt la nui mon anniversaire, je fis le rêve suivant que j’ai nommé « le « Je me promène dans le Massif central, admirant les formes dies des volcans ; je m’approche du bord d’un cratère gardé trois femmes et je vois Elie Humbert au fond. Il éclate de rir ressens dans mon corps que le volcan est le centre du mon en même temps le centre de moi-même. Mais pourquoi rit-il tant de malice ? Je décide d’aller le rejoindre. Je prends mon., et plonge dans le feu. En boomerang je suis ramenée à mon de départ. Je me concentre davantage, rassemble toutes mes f et tente une deuxième fois ma chance en effectuant un magnifique plongeon, mais sans succès. Il me reste une solution, celle d’engager une discussion avec lui » (p. 16).

Pour ceux qui ne connaissent pas Elie Humbert, il me p juste de vous le présenter. Né en 1925, Elie Georges Hu mourut à l’âge de soixante-cinq ans en 1990. Considéré CO un des meilleurs spécialistes de la pensée jungienne, il fut pendant vingt ans rédacteur en chef des Cahiers Jungiens de Psychanalyse.

Analyste, didacticien, conférencier, enseignant, c’était un homme d’une grande culture et d’une humanité exceptionnelle. C’était un personnage singulier au sens où il était devenu lui-même. Avant de devenir psychanalyste, il s’était engagé dans la voie religieuse puisqu’il avait été prêtre, moine de l’Ordre des Carmes déchaussés. Après une vingtaine d’années de vie monastique, étant dans une impasse, il alla à Zurich rencontrer Carl Gustav Jung qui était alors déjà âgé ; il travailla avec lui ainsi qu’avec sa collaboratrice MarieLouise von Franz. »

« Revenons au rêve intitulé le rire. Qu’auriez-vous fait d’un tel rêve ? Evidemment, vous ne l’avez pas fait et l’interprétation du rêve appartient toujours au rêveur. Pour ma part, je l’ai accueilli, je l’ai écouté, je l’ai considéré, je me suis confrontée plusieurs Jours avec ce rêve et je l’ai analysé seule de la façon suivante. « Dans ce rêve, il représente la sagesse et la connaissance, il est au centre de mes profondeurs. Je comprends que mon animus, ma composante masculine, est prisonnier de la terre-mère et que les trois femmes métalliques vêtues de noir empêchent un mouvement vers l’extérieur, lui interdisant de se dégager, de remonter, d’émerger, de faire surface. Le rire est illumination mais je n’en suis pas encore là ! » »

DIFFERENTS TYPES DE REVE

« Il m’avait demandé d’écrire mes rêves ; j’ai pris l’habitude de le faire et de lui tendre sans parler les notes de ce que je voulais travailler avant de m’allonger sur le divan. Chacun de ceux-ci était daté, titré et signé. Je pris beaucoup de plaisir à les baptiser : pour certains le titre S’imposait pour d’autres je jouais avec les mots.
Lui écoutait, la qualité du silence était profonde ; il parlait peu, préférant questionner, ou plus rarement il proposait une interprétation. Quant il posait sa parole, elle faisait effet de sens. »

Rêve d’ombre

« Je me souviens d’une période où je me confrontais à mon ombre dans un rêve où se mettait en jeu le triangle infernal du bourreau, de la victime et du sauveteur. Comment en sortir?

« Au récit d’un horrible cauchemar que je lui rapportai, il m’interpella:

– Je vais vous poser une question qui va peut-être vous surprendre, voulez-vous vraiment continuer votre analyse ? Je reçus un tel choc que mon corps sursauta sur le divan.

– Ce n’est pas parce que j’apporte mon premier rêve d’ombre que je vais en rester là, répliquai-je en colère.

Piquée au vif, je me sentais furieuse, mais son intervention avait eu pour effet de mobiliser en moi la force nécessaire pour me confronter à l’ombre : « L’ombre personnifie tout ce que le sujet refuse de reconnaître ou d’admettre et qui, pourtant, s’impose toujours à lui, directement ou indirectement, par exemple les traits de caractères inférieurs ou autres tendances incompatibles. » (5). D’autres fois, après l’écoute d’un rêve, il disait:

– C’est mauvais signe, votre rêve finit mal.

Le plus souvent il questionnait:

– Ce rêve vous parle-t-il?

– Pourquoi avez-vous eu besoin de faire un tel rêve?

– Dans votre vie, à quoi correspond-il?

– Quelle est la fonction de ce rêve?

Parfois il constatait:

– Rien ne se dit aujourd’hui… Il y a quelque chose que vous n’arrivez pas à attraper… Vous n’aboutissez pas.

Plus rarement il provoquait. Alors que je venais d’analyser un rêve qui déboucha sur une réflexion sur la matière et l’esprit, il demanda:
« – Que pensez-vous de ce que vous venez de dire?

– Je ne suis pas satisfaite.

– Oui, c’est de la bouillie pour les chats.

Tois jours plus tard, assise face à lui, je lançai comme un défi:

– Je reprends la réflexion sur l’esprit et la matière. J’espère aboutir à autre chose que de la bouillie pour les chats.

Il éclate de rire, moi pas. » »

« La vie psychique et nocturne est d’une grande richesse si on veut bien lui prêter attention, la prendre en considération. Les Amérindiens mettent dans les berceaux des nouveau-nés des kashinas, poupées de rêve pour les aider à voyager et à les protéger des mauvais esprits. Comment transmettons-nous le goût et la valeur du rêve à nos enfants ? Compensateur de la vie diurne, le rêve est indispensable à la santé psychique, il alchimise. Pont entre le réel et la réalité, le rêve nourrit la raison et la raison analyse le rêve. Compensateurs et régulateurs, les rêves actualisent le plus souvent les composantes du psychique opposées à celles qui dominent dans le conscient. Ainsi les rêves dénoncent-ils nos illusions et remettent-il en question les évidences. Mais trop d’images, trop d’emprise des rêves ou de possession par les archétypes nous entraîneraient du côté de la mère et nous risquerions l’engloutissement. En revanche trop de mots, trop de pensées, trop de logos nous entraîneraient du côté du père et nous risquerions alors de nous dessécher. »

Revue Française de Yoga, N°17, « Rêver. », janvier 1998, pp.203-226.

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