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Symbolisme de la colonne vertébrale et équilibre

Publié le 29 avril 2004

Symbole de la verticalité, la colonne vertébrale est faite d’os, ces os qui en hébreu renvoient à ce qu’il y a de plus fondamental et sacré en l’homme. Essence de l’homme, donc, cette colonne l’érige au-dessus du reste du vivant, dans une aspiration sans fin vers et par le Père. Elle est aspiration au Divin.

Le symbolisme du corps peut être pratiquement résumé tout entier dans celui de la colonne vertébrale, cet arbre qui demande à être verticalisé et que l’on sait si peu verticaliser. La fréquence des très gros problèmes de colonne vertébrale atteste que ce lieu du corps, plus que tout autre, parce qu’il est le centre, l’axe du milieu, nous parle constamment. Ensuite très peu de gens dans notre monde actuel (sauf dans le milieu du Yoga !) savent ce que veut dire vraiment verticaliser la colonne vertébrale en un sens autre que purement physique.

I – LA VERTICALITE

Reportons-nous au mythe d’Oedipe: lorsqu’Oedipe se présente devant la Sphinge, aux portes de Thèbes, la question qu’elle lui pose s’énonce ainsi « Quel est celui qui marche sur quatre pieds le matin, deux à midi et trois le soir ? » On pense toujours que celui qui va à quatre pattes le matin, c’est le petit enfant ; mais, en réalité, il s’agit de l’homme qui n’a pas encore réalisé sa qualité de verticalisation, qui recherche son identité profonde, réelle, ne sait pas d’où il vient, qui il est, ce qu’il fait dans ce passage sur terre.

La question de la Sphinge avait donc pour objet de provoquer une prise de conscience immédiate l’incapacité de l’homme à marcher sur ses deux pieds, à se tenir dans son midi, dans le milieu de lui-même. […]

Parmi les nombreux symboles de la colonne, l’arbre et l’échelle se rencontrent dans les différentes traditions, ainsi que le serpent. Images archétypielles d’une très grande force qui doivent parler plus que jamais à l’humanité d’aujourd’hui, elles expriment un potentiel, une capacité d’enfantement.

Selon la tradition hébraïque, l’arbre est planté en Eden. Or Eden est en hébreu la « jouissance ». Et qu’est-ce que la jouissance, sinon un état né d’une rencontre, état dans lequel on fait l’expérience d’un passage à une autre réalité, symbolisée par l’ivresse.

En hébreu, voici les deux lettres qui expriment l’arbre: la première est la gutturale Aïn, et la deuxième le Tsadé, deux lettres qu’ont perdues nos alphabets occidentaux. Alors, est-ce pur hasard si nous ne savons plus ce qu’est l’arbre? Si nous coupons nos arbres à l’extérieur et ne faisons pas vivre notre arbre à l’intérieur?

La lettre Aïn signifie « la Source » elle désigne l’arbre à sa source, dans ses racines profondes, ou plus exactement dans sa semence. La même lettre exprime l’oeil – nous y reviendrons. Pour Tsadé, qui signifie « le harpon », l’idéogramme primitif est en effet un harpon, ou encore un hameçon, qui tire le poisson ; cela signifie que dans les eaux d’en-bas, qui sont à l’intérieur de l’homme, dans le « royaume », gisent toutes les énergies que nous sommes appelés à tirer. Elles se trouvent en attente d’être accomplies pour pouvoir construire l’arbre, depuis son germe, jusque dans les hauteurs, dans sa frondaison et ses fleurs, ses feuilles et son fruit, ce fruit de l’Arbre de la Connaissance, que nous sommes appelés à devenir nous-mêmes. Appelé par en-haut, l’arbre ramasse les sucs de la terre et toute leur information et en même temps, selon sa semence, selon sa qualité, il produira un certain fruit. Or la semence pour l’homme-arbre est le Saint-Nom, celui que les Hébreux ne prononcent jamais, dont les lettres Yod-Hé-Waw-Hé, forment le présent du verbe Etre, un présent qui n’est jamais utilisé autrement. Ce « Je suis », fondement de tout le créé, habite chacun et se trouve caché dans le secret de Aïn, la source, c’est-à-dire dans les profondeurs de l’Etre. C’est lui qui contient toute l’information de l’Arbre, sa programmation pour une croissance qui fera de lui un « arbre d’Homme ».

Refuser d’écouter cette programmation du « Je suis » qui nous habite, c’est rester sous terre, ne pas faire la percée à la lumière: la plupart des hommes n’ont pas été beaucoup plus loin aujourd’hui parce qu’ils n’ont pas conscience encore de la beauté de leur être et qu’ils se sont laissés intimider par les valeurs du « sous-terre ».

Ill – EQUILIBRE ENTRE L’ACCOMPLI ET LE NON-ACCOMPLI

Or si l’être humain n’est pas à l’écoute de ce « Je suis », de cette Présence dans les profondeurs, à la source, il ne déroulera pas son arbre car le processus lui apporterait des informations qui vont à l’encontre, bien souvent, de celles qu’il reçoit du monde extérieur, particulièrement en cette époque difficile.

Quittant le niveau passionnel d’où naissent la peur et la haine, l’écoute du « Je suis », de cette permanence, permet d’accéder à une existence en même temps intégrée dans ce monde du Ma, du créé, et participant du monde divin. Monter l’arbre, faire monter cette sève, suscite un amour fou à l’intérieur de l’être, un amour pour Dieu, un amour pour l’autre, ces deux orientations étant absolument inséparables. Mais, paradoxalement, cette évolution met en évidence la part du non-accompli: plus se développe cette qualité, l’amour, plus l’homme entre dans un « humide » intérieur, symbole de la véritable humilité, qu’il perçoit avec plus d’acuité que jamais (l’humide exprimant l’inaccompli ; le sec, l’accompli, dans le langage biblique). […]

V – CONSTRUCTION DE LA COLONNE VERTEBRALE ET MARIAGES INTERIEURS

L’homme est pour Dieu ce qu’est le féminin intérieur par rapport à chacun de nous. Il constitue cette réserve d’énergie divine, ce « Tout possible divin ». Ou bien, il travaille à l’accomplissement de ce Tout possible divin, en célébrant ses mariages intérieurs, ou il s’enferme dans la répétition: banalisation, identification au monde extérieur aboutissant au désespoir. Lorsque, à travers cette chambre nuptiale qu’est sa colonne, l’homme renaît, ii est visité par le divin. « Qu’est-ce que l’homme, pour que Tu te souviennes de lui ? » chante le psalmiste. Il faut bien comprendre qu’en hébreu, le « souvenir » divin fait référence aux épousailles.

On pourrait traduire « Qu’est-ce que l’homme pour que Tu joues un rôle mâle à l’intérieur de lui ? » « Qu’est-ce que l’homme pour que Tu le pénètres? »

Le shabat représente l’effacement nécessaire de Dieu pour que l’Homme croisse, puis son retour pour venir le nourrir, dans une sorte de respiration admirable dont la colonne vertébrale est aussi le lieu. Dans cette respiration du shabat Dieu se retire et revient nourrir, visiter, puis Il se retire encore, et revient épouser, selon l’archétype même du rythme respiratoire: tel est le jardin d’Eden, non pas un lieu extérieur, mais un lieu intérieur. Or l’homme peut aussi créer à l’extérieur un jardin d’Eden s’il vit cette transformation intime. Dedans et dehors sont en effet deux pôles qui répondent à la même réalité profonde, celle que symbolise le jardin d’Eden, l’espace de cette grande respiration divine, de ce Dieu qui se cherche en l’homme et de l’homme qui appelle Dieu continuellement, à chaque instant. […]

Revue Française de Yoga, n°4, « Equilibres sur les pieds », 1991, pp. 145-156.

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