Tibet, l’harmonie équilibrée du corps et de l’esprit
Publié le 23 septembre 2003
Si la médecine occidentale s’est récemment intéressée de plus près aux pratiques tibétaines traditionnelles, c’est parce que les bienfaits d’une approche globale de la maladie sont aujourd’hui largement reconnus. Ce genre d’approche permet en effet d’apprécier avec une justesse accrue les causes de la maladie et le traitement approprié.
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LA MALADIE DANS SON CONTEXTE
Le trait saillant et sans doute le plus caractéristique de cette médecine est son approche holistique: le bouddhisme enseigne que l’être humain est à la fois corps et esprit. D’où l’importance primordiale de son environnement, des énergies autant physiques que psychiques qui l’affectent, de son comportement personnel face à la vie et à la maladie. […]
Selon la tradition tibétaine, tout corps est formé à la base par les cinq énergies cosmiques que sont la Terre, l’Eau, le Feu, l’Air et l’Espace. Inutile d’insister sur les développements philosophiques que cette conception implique. Mais comme ces cinq éléments sont au premier chef des forces dynamiques, leur synergie est essentielle à un fonctionnement équilibré, chacune étant d’ailleurs spécifiquement liée à un sens physique, à une partie déterminée du corps et à un centre intérieur. Le moindre déséquilibre entre elles débouche sur le malaise ou la maladie. Naturellement, les saisons et les astres jouent aussi un rôle dans ce tableau vivant déjà complexe. A l’heure de la mort -quand l’arc de vie imparti à chacun, les forces karmiques et les mérites accumulés arrivent à épuisement- ces énergies perdent leurs pouvoirs propres et s’estompent graduellement. D’abord, la Terre est absorbée par l’Eau, tandis que la vision se trouble. Ensuite, l’Eau se dilue dans le Feu, et les cavités intérieures du corps se dessèchent. Après, le Feu est absorbé par l’Air, alors que disparaît la chaleur du corps. Puis l’Espace absorbe l’Air, et c’est la respiration qui cesse. La conscience la plus subtile, elle, disparaît à la manière d’un arc-en-ciel, sans pour autant s’anéantir.
La cause première de la souffrance, d’après les enseignements bouddhistes, est le concept d’ego, qui se manifeste par l’illusion, la confusion ou l’ignorance. Ces dernières engendrent à leur tour l’attachement, le désir et l’envie, ou encore la haine, l’aversion et l’agressivité. Ce sont là les « trois poisons » qui brûlent sans relâche l’homme, et dont le Bouddha a dit « Cela consume par le feu de l’illusion, de l’attachement et de la haine. Cela consume par la naissance, la vieillesse et la mort ; par la plainte, la douleur
la tristesse et le désespoir ». Les « trois poisons » fondamentaux se traduisent par trois affections ou maladies de base, respectivement liées à des ruptures d’équilibre concernant la Terre et l’Eau, le Feu ou l’Air.
Les trois humeurs, ou « nopa », responsables du bien-être ou du mal-être corporel sont la bile, le phlegme et le pneuma, respectivement chaud, froid et neutre. Chacun de ces facteurs cardinaux a un point d’attache, la bile étant associée au milieu du corps, le phlegme au cerveau et le pneuma aux organes génitaux, se rattachant sur un autre plan à la colère, la confusion (mentale) et le désir. Si l’ignorance demeure la cause première de tous les maux dont souffre l’être humain, les souffrances dérivent de l’exacerbation de l’un au l’autre des trois poisons de base.
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RETABLIR LES EQUILIBRES
La restauration des équilibres fondamentaux passe par un mode de vie adapté aux circonstances en fonction aussi des changements naturels saisonniers: une nourriture frugale peut-être, mais tenant compte des nécessités vitales du corps sans céder aux excès tentateurs, et à condition de rétablir les normes en cas d’écarts à l’occasion, par exemple, des fêtes; les médicaments ou les drogues si le besoin s’en fait impérieusement sentir, et parfois des thérapies d’intervention.
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LA SANTE PHYSIQUE PASSE PAR L’ESPRIT
C’est peut-être dans le domaine de l’esprit que la science occidentale a le plus à apprendre des connaissances tibétaines: pour les érudits et les savants du Haut Pays, le corps et l’esprit sont indissociables, et l’influence mentale sur la santé corporelle ne fait aucun doute à leurs yeux-. La méditation consciente, le sommeil, les rêves font depuis des siècles l’objet de toute la sollicitude et de l’attention des maîtres, et il semble bien que non seulement ils en savent très long sur les possibilités de maîtrise des sens et des fonctions corporelles, mais également sur la maîtrise de l’esprit. D’où aussi leur habileté à soigner les troubles mentaux et à remettre un semblant d’ordre dans la confusion où baignent souvent des patients qui viennent chercher auprès d’eux un remède à leur mal de vivre.
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Revue Française de Yoga, n°3, « De la santé au salut », janvier 1991, pp. 23-36.