Le Monde du Yoga

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un auteur et son oeuvre : Hermann von Keyserling (1880-1946)

par Anne-Marie Bouisson Arnold Von Keyserling | Publié le 19 septembre 2003

Keyserling voit dans le yoga la méthode la plus sûre pour transformer l’être au point de le faire changer de niveau de conscience. Karma-Yoga, Bhakti-Yoga et Jâna-Yoga s’adressent aux uns ou aux autres selon leurs aptitudes, mais le Râja-Yoga, pris dans son sens large, qui les englobe, s’adresse à tous sans distinction, d’orient comme d’occident.

« […]
Dans une esquisse autobiographique au titre significatif, « De la fécondité de l’insuffisant », formant le premier chapitre de son ouvrage « Figures symboliques », Hermann Keyserling montre comment, enfant hypersensible, solitaire, étudiant violent, dominateur et débridé, il changea de vie après un duel au sabre qui mit ses jours en danger. Il découvrira alors l’idéal de spiritualité dont il portait en lui une part d’héritage, fera de la « fécondité de l’insuffisant » le pivot de sa philosophie, et du perfectionnement intérieur la clé du perfectionnement universel.

Dans la recherche du perfectionnement intérieur qui dominera dorénavant sa vie, l’exemple de la spiritualité de l’Inde fut pour Hermann Keyserling d’un grand secours.
[…]
Si nombreux sont les chemins qui mènent à la Connaissance, le chemin le plus court, dit Keyserling, est celui du yoga.

Le yoga, en effet, représente pour le philosophe la méthode la plus sûre pour changer de « niveau de conscience ». Si le terme « niveau de conscience » (Bewusstseinslage) apparaît pour la première fois dans « Le journal de voyage d’un philosophe », l’étude systématique et approfondie du yoga semble dater du séjour à Adyar où Keyserling a mis à profit « l’abondante documentation de la bibliothèque » pour compléter ses connaissances. Il nous énumère d’ailleurs -chose rare chez Keyserling- les sources utilisées, dont celle, en particulier, des Yoga-Sûtra de Patânjali, sans toutefois s’y référer au cours de ses réflexions, positives ou négatives, sur le yoga.

Sans entrer dans le détail, Keyserling nous donne un bref commentaire des diverses méthodes susceptibles d’amener le yogin à progresser dans la voie de la Connaissance:

Le Karma-Yoga, « méthode spirituelle qui se propose de maintenir l’adepte dans le monde (donc de le conduire à accepter la nécessité d’agir selon le Dharma) tout en lui enseignant comment échapper aux fruits du « Karman » (l’action), se situe pour Keyserling au bas de l’échelle, « parce qu’ici l’esprit autonome n’intervient presque pas » et que son succès provient de la stricte observance de règles « suivies aveuglément ».

Le Bhakti-Yoga, ou yoga de la dévotion, semble pour Hermann Keyserling la voie la plus facile, parce que la plus facilement praticable. Keyserling traduit d’ailleurs le terme « dévotion » par « amour », ce qui rend plus immédiatement compréhensible en quoi réside la « facilité ». Aimer, n’est-ce pas ouvrir tout grand son âme, s’oublier et, dans cet oubli de soi, trouver Dieu? Interprétation quelque peu édulcorée d’une méthode de salut qui -en tant que yoga- reste à sa manière « ordonné à la recherche de la Délivrance » et qui, en tant que pratique dévotionnelle, rejoint dans la Bhagavad-Gîta si souvent citée par Keyserling, « l’action désintéressée », ou Karma-Yoga, pour permettre, grâce à celui-ci, de se réaliser avec la « grâce spéciale du Seigneur »

En vérité, Keyserling ne prétend nullement « exposer à la lettre la philosophie du yoga ». Il veut seulement, ne le dit-il pas lui-même, rendre tangible son « sens ultime » qui serait aussi, selon la conception du philosophe, sa dernière « réalité ». Il s’interroge également sur une éventuelle utilisation des méthodes du yoga en Occident.

« Plus je connais l’Orient, plus me paraît insignifiant le type de l’Occidental moderne. »

C’est en partant de là, et de la question sous-jacente -comment aider l’Occident dans la voie de son propre salut?- que s’explique la dépréciation de certaines méthodes de yoga qui, pratiquées par l’occidental, pousseraient au paroxysme des défauts déjà existants.

Prenons seulement l’exemple du Bhakti-Yoga. Il est, selon la définition que donne Keyserling de cette forme de yoga, prêchée par Krishna dans la Bhagavad-Gîta, « une des perfections en puissance du divin ». Mais ce qui, pour l’hindouisme, représente seulement une voie parmi d’autres, la plus facile, la « dévotion personnelle, passionnée, l’adoration confiante » -l’amour, selon la traduction de Keyserling – est, pour le christianisme, un aboutissement. Par la filiation de Platon, le christianisme a élevé l’Amour au rang d’une métaphysique. Il s’est arrêté à mi-chemin, là où l’hindouisme parvient, grâce au yoga, à la Connaissance, et par la Connaissance à la Délivrance. Et Keyserling de conclure qu’il « faudra encore à l’humanité beaucoup d’hommes tel que Nietzsche, beaucoup d’ennemis du christianisme, avant de séparer l’esprit de la lettre, de vivre suivant l’Esprit, et dans la Vérité « .

Parmi les méthodes ancestrales d’accès au salut, c’est le Jâna-Yoga, ou Yoga de la Connaissance qui – selon Keyserling – « permet d’emblée au philosophe de marcher dans la lumière du Seigneur ». C’est la méthode réservée aux plus doués, celle où l’adepte médite sur les Écritures dont il cherche à approfondir le sens.

Mais Keyserling ne s’y trompe pas quand, de la « pluralité des yogas » (Jean Varenne), il retient surtout le grand principe du yoga classique dont les divers types de yoga ne sont que des variantes. Et s’il prononce le nom de Râja-Yoga, ou Yoga royal, « seul tenu pour valeur de référence par la tradition unanime », c’est pour distinguer cette méthode d’entraînement individuel des exercices spirituels d’un Saint Ignace de Loyola, ou d’un Saint Thomas d’Aquin qui, certes, ont réussi, eux aussi, à devenir des « virtuoses de la volonté » et les « dompteurs de leur âme », mais dont la voie de perfectionnement a été tracée à des fins purement dogmatiques par une puissance extérieure: l’Église.

Nous voyons que Keyserling prend le mot « yoga » au sens le plus large de ce terme. Tout au plus distingue-t-il vraiment entre yoga occidental et yoga oriental. Et s’il préfère, parmi les deux disciplines de concentration mentale, le yoga oriental, c’est à cause du caractère individuel et anti-dogmatique de cette sorte de gymnastique de l’âme.

Car ce n’est pas le yoga en tant que gymnastique du corps, ce sont encore moins les « pouvoirs merveilleux » rattachés à certains degrés de l’expérience spirituelle du yoga qui intéressent Keyserling. Nous trouvons même, au coeur du chapitre « Benares » du « Journal de voyage », une véritable mise en garde contre les dangers du Hatha-Yoga ou « Yoga de la force » qui, mal compris, ou exploité à des fins mercantiles, est en partie responsable de l’atmosphère de supercherie et de superstition qui côtoie en ce lieu saint la religiosité vraie, la sainteté et la sagesse.

En conclusion, deux aspects du yoga entrent essentiellement en ligne de compte pour Hermann Keyserling: le yoga, technique de concentration mentale par excellence, est:

I) un moyen de contrôle de la vie psychique, et un moyen de perfectionnement individuel;
2) un moyen d’accès à la métaphysique, donc à la Vérité.
[…]

Il n’est pas possible, dans le cadre de cet article, de développer plus longuement l’influence de l’Inde et de la pratique du yoga sur la spiritualité de Hermann Keyserling. Ajoutons seulement pour conclure cette remarque du philosophe pédagogue que fut Keyserling:

 » (…) Je m’étonne que la pratique du yoga ne fasse pas depuis longtemps partie du programme de tout établissement d’éducation.»

Les carnets du yoga, n°26, février 1981, pp. 4-17.

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