Un auteur et son oeuvre : Jean Herbert (1897-1980)
Publié le 22 septembre 2003
Grâce à une connaissance très large et compréhensive de l’orient, et notamment de l’Inde, combinée à une grande ouverture d’esprit, Jean Herbert a réussi à ouvrir un peu plus l’occident aux philosophies orientales. La clarté de ses écrits, comme de ses conférences, témoigne de la justesse de sa pensée comme de ses talents de pédagogue.
« La vie de jean Herbert -ou plus exactement les vies de jean Herbert ,orientaliste, linguiste, interprète- ont une seule et même préoccupation: aider les gens à se comprendre mutuellement. « L’hindouiste, comme l’interprète -dit-il- se consacre à la découverte et à l’explication de l’être humain. En même temps, dans l’un et l’autre cas, il recherche l’établissement des relations humaines, s’efforçant d’en justifier la nécessité. » Ce ne sont pas des vies parallèles, elles s’imbriquent, se complètent pour donner ce personnage si étonnamment fort et complet qu’est Jean Herbert.
Jean Herbert est né à Paris le 27 juin 1897. De son père, Fernand Herbert, protestant de la Charente, professeur d’anglais à l’école des Sciences politiques de Paris et de sa mère, catholique de la Bourgogne, enseignante elle aussi, il hérite d’un remarquable don de pédagogue et de deux religions chrétiennes; d’une tendre grand-mère qui règne avec douceur et autorité sur la maison une forte dose de bon sens et un répertoire de dictons qu’il cite fréquemment. Au collège Chaptal, il est profondément influencé par le professeur de philosophie André Cresson -représentant de l’école positiviste- dont Jean Herbert dit aujourd’hui encore qu’il lui a appris à raisonner.
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– Jusqu’à la guerre de 1939 il travaille pour la Société des Nations, pour plus de 100 organisations internationales. Il rencontre Briand, Stresemann, Barthou, Mussolini, Churchill.
Vers 1930, il constate que « les conférences internationales [n’aboutissent] pas à grand chose. Chaque délégué [s’attache] plus à défendre les intérêts du groupe qu’il [représente] qu’à rechercher une solution générale ». Dès 1931 il s’intéresse au Bouddhisme, il étudie le Pali et découvre Râmakrishna et Vivekânanda dans les écrits de Romain Rolland. Il passe quelque temps dans la Science chrétienne, qu’il a même pratiquée. Elle lui ouvre les yeux à la valeur ésotérique de la religion. Mais il finit par se fatiguer de l’intransigeance de ses membres.
Dégoûté également par le complexe de supériorité des Chrétiens, Catholiques et Protestants (fils d’un protestant et d’une catholique il avait été très tôt frappé par le fait que chacun croit posséder la seule vérité), il décide d’aller voir si les Bouddhistes possèdent la même vérité, auquel cas ce complexe de Supériorité des Chrétiens serait injustifié.
En 1933, à 36 ans, il part faire la tournée des pays bouddhistes, se plonge dans le Mahâyâna, mais s’aperçoit bientôt qu’une intransigeance très marquée existe d’une secte à l’autre. Encore une fois déçu, il décide de rentrer en faisant escale dans cette Inde dont Romain Rolland avait tant parlé. Chargé simplement de remettre une lettre à un artiste qui vivait à Pondichéry dans l’ashram d’Aurobindo, Jean Herbert pense n’y faire qu’une brève escale. Mais c’est la première rencontre avec Shrî Aurobindo: elle remonte à 1934, le maître a 62 ans. Il répond à la formation cartésienne de Jean Herbert qui est immédiatement séduit par la rigueur logique de la recherche spirituelle d’Aurobindo, par sa vision qui lui semble dépasser toutes celles vues jusqu’alors, par son expérience considérable de la vie dans le monde, par sa connaissance de l’Occident.
En 1935 Aurobindo accepte Jean Herbert comme disciple. Le nom qu’il lui donne, Vishvabandhu, « l’ami de tous », est tout un programme: il déclenche l’orientation de toute la vie de Jean Herbert et continue maintenant encore à prendre tout son sens. Selon la tradition hindoue, une initiation donne premièrement l’indication de la voie à suivre, deuxièmement la soif et troisièmement la force de le faire, force dont Jean Herbert est un symbole vivant et qui lui permet de continuer de remplir sa mission. Aurobindo demande a Jean Herbert de « traduire tous ses ouvrages en français et de les faire traduire dans d’autres langues ». Suivant l’enseignement du Maître, Jean Herbert pénètre de plus en plus profondément dans la connaissance de la sagesse orientale.
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Séduit par la largeur de vues de l’Inde il en parle chaque fois que l’occasion s’en présente. […] « Je crois que l’Orient peut encore donner des leçons à l’Occident. Nous savons parfois être tolérants, la plupart du temps avec un sentiment de supériorité et de condescendance envers ceux qui ne pensent pas comme nous. Vous avez l’habitude -qui nous manque- de voir la même chose sous plusieurs angles différents, simultanément, y compris l’angle des Occidentaux. »
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En 1937, Jean Herbert s’installe à Genève et continue à mener de front son travail d’interprète et son travail d’orientaliste. Au cours de plusieurs voyages dans l’Inde il séjourne aussi auprès de Ramana Maharshi, Swâmi Ramdas, Mâ Ananda Moyi, Swâmi Shivânanda, Nanga Bâba, dont il s’emploie à diffuser l’enseignement.
En 1939, mobilisé, il passe une année à Valence comme chef d’état-major d’un centre de formation de régiments d’artillerie lourde. Au moment de la débâcle on lui confie 2 000 jeunes Alsaciens qui venaient d’être mobilisés et qui risquaient d’être fusillés s’ils étaient pris par les Allemands. Il réussit à les amener jusqu’aux Pyrénées. Il revient dans le Midi où une amie hindoue, Mme Banerjee, met à sa disposition une petite maison qu’elle possède en pleine forêt dans les Maures; il y passe le reste de la guerre, plongé dans l’étude des textes sacrés hindous et dans l’enseignement des maîtres, jusqu’au jour de 1945 où un télégramme du Ministère des Affaires étrangères lui demande d’aller à San Francisco où les Alliés posent les bases des Nations Unies.
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Jean Herbert suit ensuite la Commission préparatoire des Nations Unies et de l’UNESCO à Londres et, de là, avec la première avant-garde des Nations Unies, part pour New-York comme chef interprète.
Avant 1918, les interprètes internationaux n’étaient pas des professionnels mais des gens ayant une vaste culture générale et une connaissance approfondie d’une langue étrangère comme l’historien Paul Montoux, fondateur de l’Institut des hautes études internationales, ou Gaston Bergery, plus tard Ambassadeur de France.
Les besoins s’étant multipliés, il fallait créer et organiser la profession. Jean Herbert est appelé à créer de toutes pièces le corps d’interprètes de l’ONU.
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Ses multiples travaux de linguistes ne l’empêchent toutefois pas de poursuivre son oeuvre d’orientaliste.
En 1947, à la suite d’une polémique dans les « Cahiers du Sud » où Jean Herbert s’en prenait violemment au professeur Masson-Oursel, de la Sorbonne, M. Sabatier, directeur des Editions Albin Michel, demande à Jean Herbert d’écrire un ouvrage sur l’Hindouisme. Ce sera « Spiritualité hindoue ». Il lui confie également la direction de la collection « Spiritualités vivantes » où les éditions Albin Michel reprennent peu à peu tous les livres que Jean Herbert avait publiés à son compte. Devant son succès considérable, la collection est étendue au Bouddhisme, puis à l’Islam. A l’heure actuelle elle comprend quelque 60 volumes, dont plus de 25 ont été réédités en livres de poche (plus d’un million d’exemplaires déjà distribués).
Il traduit, introduit en France les oeuvres originales des grands sages de la fin du XIX° siècle et du début du XX° siècle, Au cours de ses voyages, il rencontre et reçoit directement les enseignements de sages d’autres religions, notamment D. T. Suzuki, l’ayatolla de Oum, le sheikh Mohammed at-Tadili, des chefs religieux bouddhistes, coréens, zen.
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Vers 1960, les japonais lui demandent de faire pour le Shintô ce qu’il a fait pour l’Hindouisme. Le petit ouvrage projeté se transforme en quatre volumes dont l’un est couronné par l’Académie française […]. Jean Herbert y consacrera 4 ou 5 ans et les traduira lui-même en anglais. Par la suite il publie encore sur le sujet deux petits volumes.
Du Shintô, Jean Herbert déclare avoir tiré un grand principe « Ici et maintenant ».
Depuis « Spiritualité hindoue », Jean Herbert est également l’auteur d’une quinzaine de volumes sur l’Hindouisme, d’un ouvrage d’introduction à l’Asie. Il dirige diverses collections sur l’orientalisme publiées par une demi-douzaine d’éditeurs dans autant de langues. Actuellement quelque 250 volumes ont parus. Il collabore avec le Grand Larousse Encyclopédique pour des sujets relatifs à l’Inde, la mythologie, etc.
Jean Herbert se plonge de plus en plus dans les études mythologiques. Pour lui « Un mythe est la description d’une certaine interaction entre deux ou plusieurs forces déterminées qui existent dans la nature . On n’invente
pas plus un mythe que l’on n’invente le processus de germination d’une graine, mais on peut y découvrir des significations et des explications jusque-là insoupçonnées ». Avec au départ certaines clés reçues de Shri Aurobindo, il avance dans la compréhension des textes sacrés qu’il décortique et qui lui révèlent des trésors invraisemblables dans tous les domaines, spirituel, psychologique, etc. Il travaille avec cette minutie qui lui est propre: il établit des fiches, des glossaires, des index qui sont pour lui de précieux instruments de travail.
L’attrait exercé sur Jean Herbert par l’Hindouisme réside dans le fait que l’Hindouisme est une religion qui n’a pas de dogme. Elle admet n’importe quelle croyance et c’est précisément cette diversité qui implique une tolérance illimitée et plus qu’une tolérance, un respect pour les opinions d’autrui. Sur le plan des idées, l’Hindouisme propose, écrit-il:
1) Une conception du monde à la fois plus complète et plus cohérente que celles, souvent contradictoires, que nous apportent séparément, d’une part une compréhension étroite de notre enseignement religieux traditionnel et, d’autre part, nos théories scientifiques en constante évolution.
2) Plus généralement, une logique dans laquelle, au lieu de dilemmes et d’oppositions irréductibles, on envisage plutôt des complémentarités nécessaires.
3) Une connaissance de la psychologie humaine à la fois plus détaillée et mieux vérifiable que celle dont nous disposons actuellement en Occident.
4) Une conception statique et dynamique de l’âme humaine qui pourrait offrir une explication plus satisfaisante que la nôtre d’un certain nombre de phénomènes.
5) Une conception des rapports humains qui, sans être acceptable pour nous sous sa forme d’origine, peut nous amener à repenser certains des problèmes auxquels nous nous heurtons.
6) Une vision d’ensemble du divin qui élimine les contradictions entre les diverses écoles de pensée qui chez nous s’opposent. Et dans ce domaine, par conséquent, une attitude qui, dépassant la tolérance, va jusqu’au respect mutuel, attitude que nous aurions avantage à étendre à d’autres domaines.
7) Un mode de compréhension des mythes qui nous permet d’y puiser de précieux renseignements.
[…] »
Les carnets du yoga, n°5, mai 1979, pp. 2-15.