Un auteur et son oeuvre : Jean Varenne (1926-1997)
Publié le 22 septembre 2003
Grand connaisseur de l’Inde et de ses richesses, notamment spirituelles, Jean Varenne souligne qu’il n’est nul besoin d’aller au bout du monde pour découvrir les bienfaits de la méditation et de la dévotion. Pour autant, à l’occidental qui connaît et comprend sa propre tradition, la découverte de l’Inde apporte une ouverture d’esprit de grande valeur.
« […] « Jean, raconte-nous d’abord un peu ta vie »
J. V. : Bien qu’en Inde, tu rencontres facilement des gens qui te disent qu’ils sont nés il y a mille ans… je dirai simplement que je suis né en 1926 à Marseille, encore que ma famille soit originaire de Bourgogne. J’ai fait des études de philosophie, avec très vite un attrait pour la philosophie orientale; or dans la licence et l’agrégation de philo, on n’est pas sensé savoir ce qui se passe au-delà de la Méditerranée… J’ai donc commencé à lire, à travailler seul dans les bibliothèques, en me concentrant essentiellement sur l’Iran, le Tibet, et l’Inde.
Or, il n’y avait pour moi qu’une façon de m’intéresser honnêtement à la civilisation indienne: c’était d’apprendre la langue. […]
« Et l’Iran? »
J. V. : il est presque impossible de s’intéresser à l’Inde, surtout archaïque, sans étudier un peu l’Iran pré-islamique. En effet, les iraniens et les indiens védiques provenaient des mêmes peuplades indo-européennes et on retrouve dans l’Avesta, le Livre sacré de l’Iran, exactement les mêmes éléments que dans le Véda.
L’étude en est plus difficile, bien sûr, parce que deux événements sont venus interrompre une tradition qui est, an contraire, toujours vivante en Inde. C’est d’abord la réforme de Zoroastre, qui a voulu introduire le monothéisme à la place des anciens dieux et qui a détruit beaucoup de textes.Ensuite et surtout, il y a eu l’invasion musulmane et l’imposition de l’islam qui a complètement gommé l’ancienne civilisation.
[…]
« Comment es-tu entré en contact avec la Fédération? »
J. V. : Ce qui se passe chez les indianistes est tout à fait étonnant: l’Inde est un pays vivant, la religion hindoue est une religion vivante, qui est quand même professée par 600 millions de personnes de nos jours.
A priori, on pourrait imaginer qu’un indianiste est quelqu’un qui s’intéresserait à l’Inde vivante et qui, ensuite, irait jeter un coup d’oeil sur les origines. Or, l’organisation de l’Université française consiste à privilégier ce qui est le plus ancien, sanskrit, védisme, hindouisme ancien, bouddhisme originel. On chercherait en vain un cours sur Ramani Maharshi, ou même sur Tagore. Supposons un Japonais qui s’intéresserait à la culture française et à qui ne serait proposé qu’un cours sur Saint-Thomas d’Aquin!
J’ai donc dû devenir, en tant qu’indianiste, un spécialiste des origines. Mes collègues ont même un certain mépris pour l’Inde moderne. Cet hindouisme vivant, je n’ai donc pu te développer dans le cadre de l’Université. Heureusement, quand j’étais en Inde, avec Guy Deleury, on a assisté à de nombreuses célébrations, bien que mon professeur, Louis Renou, m’en ait dissuadé: « Vous perdrez votre temps », disait-il. Je suis donc resté, dés mon voyage en Inde, un marginal par rapport à ces optiques universitaires.
[…]
« Comment vois-tu l’intérêt de l’Occident pour l’Inde ? »
Il y a un côté positif et un côté négatif. Le positif, c’est l’occasion de pouvoir sortir de son petit univers pour comprendre et apprécier pleinement une autre culture. Par contre, cet attrait est souvent rempli d’illusions: on s’imagine que l’Inde possède, dans le domaine spirituel, tout ce qui manque à l’Occident. Je prétends au contraire que l’Occident possède à ce point de vue tout ce que l’on cherche en Inde. Exemple frappant: les techniques de méditation sont parfaitement bien élaborées chez les bénédictins et les trappistes. La bhakti, la dévotion ardente, existe tout autant ici. Il y a là un phénomène culturel : on préfère recevoir de très loin des formes religieuses dont on ne reconnaîtrait pas la valeur si elles provenaient d’Occident. Cet attrait pour l’Inde, je suis aussi là pour lui rendre son objectivité et sa justesse: il faut connaître sa propre culture et ses origines spirituelles.
Cela dit, dans le Yoga et la tradition hindoue, mon introduction et ma conclusion émettent certaines réserves sur les milieux européens du Yoga. Mais elles dataient d’une époque où je ne connaissais pas la rue Aubriot. Ce livre étant épuisé, il y en aura une nouvelle édition, dans laquelle je compte rendre hommage à ceux qui véhiculent le Yoga en Occident!”
Les carnets du yoga, n°52, octobre 1983, pp. 2-8.