Le Monde du Yoga

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Un auteur et son oeuvre : Lucien Ferrer (1901-1964)

Publié le 22 septembre 2003

Dès les premiers contacts avec Lucien Ferrer, Kerneiz sent qu’il a affaire à un élève hors du commun. La rencontre de Ferrer avec Krishnamurti ne fait que confirmer cette première impression, en éveillant Ferrer à un quête spirituelle poussée toujours plus avant au long de sa vie. Quête qui lui apprendra à vivre véritablement chaque instant dans son intensité.

« […]Ferrer n’était pas un sanskritiste. Son mérite est d’avoir été un réalisateur. Il s’en explique dans l’introduction de son premier ouvrage (Etude et pratique du Hatha-Yoga par l’image. Les premiers pas.) sur lequel nous reviendrons:

« Notre innovation fut de n’en parler (du yoga) qu’après avoir mis en pratique renseignements et conseils puisés dans les oeuvres des compilateurs occidentaux jugés les plus sincères… Il ne fut pas rare, au cours de nos recherches littéraires, de trouver plusieurs descriptions d’une même asana, descriptions souvent irréalisables du fait que le traducteur était dans l’impossibilité de vérifier pratiquement ses écrits. »

C’est ce qui explique que de 1948 à 1964 (date de son départ) Ferrer joua un rôle très important dans la diffusion de la pratique du yoga en Occident.

Pour mieux comprendre ce qui s’est passé, c’est-à-dire à la fois son succès dans les années 50 et l’oubli dans lequel il est tombé maintenant, il faut dissocier la diffusion intellectuelle du yoga et sa propagation dans la réalisation. On peut penser que l’un ne va pas sans l’autre et c’est exact. Mais l’un peut dominer l’autre. Des intellectuels du yoga consulteront de préférence les ouvrages traduits directement des textes sanskrits ; c’est logique. Mais la masse qui cherche à pratiquer demande une clarification, voire une interprétation: une prédigestion de cette nourriture si compacte. C’est ce que Ferrer comprit. Son succès à l’époque vient de ce qu’il mit cette merveilleuse discipline à la portée d’un plus grand public, du fait qu’il l’expérimenta sur lui-même et pu ainsi traduire ce qu’il avait non seulement intellectualisé dans un premier temps, mais vécu dans tout son être dans un second. Toujours dans l’introduction de son premier ouvrage il écrit:

« La principale difficulté rencontrée par l’Occidental dans la réalisation de certaines asanas compliquées, provient de la différence entre sa conformation physique et celle de l’Oriental, pour qui les postures ont été innovées. Après avoir patiemment étudié, puis réalisé les asanas et en avoir recherché les clés, nous les avons transposées en postures plus élémentaires, différentiant minutieusement les mouvements composants. »

L’HOMME

Né en 1901 au Creusot, de souche catalane, Lucien Ferrer ne pouvait nier son ascendance méridionale.

De petite taille, trapu et musclé, une vitalité intense le poussait à agir constamment dans tous les domaines. Sa musculature arrondie le déconsidérait parfois aux yeux de certains maigres longilignes qui pensent que la pratique du hatha-yoga n’est accessible qu’aux filiformes. Cependant le Dr. Rouilhé, médium réputé, qui en tant qu’éditeur possédant la librairie Véga à Paris contribua à faire connaître Ferrer comme hatha-yoguin occidental me confiait avant de disparaître lui aussi « On a pu penser que Ferrer était obèse. En réalité c’est dommage qu’on n’ait pas étudié son cas, car il avait le HARA ».
[…]
[En 1948], Ferrer fonda à Paris l’Académie Occidentale de Yoga.Il s’installa d’abord rue Feydau, dans le quartier de la Bourse, puis à côté rue d’Uzès.

Rapidement donc, ce fut le succès? Certainement la première grande école de pratique du yoga en France, et peut-être même en Europe.

Ferrer, personnalité accusée, plaisait d’emblée aux uns et déplaisait aux autres. Ce qui est certain c’est qu’il vivait intensément une recherche constante sur tous les plans.
Tel qu’il était, d’hérédité catalane nous l’avons dit, son trop-plein de vie, frisant parfois l’exubérance, pouvait le déconsidérer auprès de certains. Ce n’était qu’une apparence. Il fallait vivre auprès de lui pour sentir une puissance peu commune, alliée à des pouvoirs de pénétration exceptionnels.

Mais jamais il ne s’est présenté comme un Maître, Il est resté simple, jovial. Autour de lui, dans le quotidien, dans son village, la plupart des habitants ignoraient qu’ils côtoyaient un yogi ; un maître dans la connaissance profonde de l’être humain et dans l’utilisation des énergies.
[…]

SES ECRITS

Ferrer commence par rédiger un cours par correspondance. Mais très vite il se rend compte des difficultés pour enseigner correctement une telle discipline à distance. Cela lui offre cependant l’occasion de concrétiser dans des polycopies la structure d’un enseignement technique. Il le fait sur une quarantaine de leçons qui lui servirent sans doute pour écrire ensuite sa série d’ouvrages compris sous le titre général:

« L’Étude et la pratique du Hatha-Yoga par l’image. »

qui outre les descriptions et photographies de postures, traitent consécutivement:

– dans le Tome I, intitulé Les premiers pas: des généralités sur les yoga;

– dans le Tome II, Refrènements et disciplines: de l’esthétique du corps, et des ambiances sociale, familiale, personnelle, karmique, cosmique;

– dans le Tome III, Technique et Efficacité asanique: de l’incidence des postures sur la respiration, la sexualité, la vitalité en général;

– dans le Tome IV intitulé Hatha- Yogin Occidental: du rôle du hatha-yogin dans la société moderne;

– puis « Yoga Maîtrise de la Personnalité Humaine »: étude métaphysique du Hatha-Yoga. Son dernier ouvrage, inachevé, publié après sa mort.

Pour ne rien omettre, signalons une plaquette: Conférence donnée le 3 décembre 1950 en la Salle de Géographie, Bd St-Germain, à Paris. Cette conférence fut faite dans des conditions assez particulières – genre Ferrer – que nous avons relatées dans le Tome Il de Manuel de Yoga.

C’est une oeuvre de vulgarisation du hatha-yoga en Occident. Le mérite de Ferrer a été de mettre à la portée du public la compréhension des principes du hatha-yoga et de promouvoir sa pratique en Occident.

A la lecture de ses livres on est en effet poussé à réaliser. Pourquoi ?

Parce que c’est du vécu ; et par un occidental comme nous. Ferrer n’est pas un intellectuel, pas un érudit. Mais il voit juste, il pressent juste. Montesquieu me fait penser à lui lorsqu’il écrit: « J’aime les paysans, ils ne sont pas assez savants pour raisonner de travers.  »

Ferrer va utiliser, il l’écrit dans son tome I, ce que des plus savants que lui, des sanskritistes, ont divulgué de ces textes traditionnels, de ces connaissances millénaires.

Avec ses moyens, qui par ailleurs sont exceptionnels, sa sensibilité, sa puissance énergétique, ses possibilités d’action tant physiques que mentales, il va utiliser ces trésors.Il va utiliser ces techniques, les expérimenter sur lui-même. Elles ne se localiseront pas dans son intellect, pour bien en parler, pour bien écrire. Leur effet se fera ressentir dans tout son être. Un vécu intégral. Et c’est cela qu’il essaiera de transmettre.
[…]
On ne peut nier que la présentation de ses ouvrages a subit l’épreuve du temps. Depuis, des procédés modernes d’imprimerie et d’illustration ont révolutionné l’édition. Mais si nous nous reportons à l’époque de leur parution nous comprendrons tout l’intérêt de cette présentation qui nous paraît aujourd’hui désuète.
[…]
Ainsi reportons-nous trente années en arrière pour comprendre. Les livres traitant des postures du hatha-yoga traduisaient presque mot à mot les textes sanskrits dans un langage souvent imaginé et plein de mystère. C’était un grand mérite, mais d’une compréhension difficile pour le novice occidental. D’où l’idée de Ferrer, après avoir interprété ces textes ardus, compris la posture, de la réaliser lui-même, et de se faire photographier pour en illustrer le texte explicatif. C’était simple, mais comme pour l’oeuf de Christophe Colomb, encore fallait-il y penser!

Mais tels qu’ils nous restent, ces livres ne manquent pas d’intérêt. Leur contenu est à la fois à la portée des débutants dans les trois premiers tomes, et d’une densité telle dans les suivants qu’on peut y puiser sans cesse.”

Les carnets du yoga, n°29, mai 1981, pp. 3-25.

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