Un auteur et son oeuvre : Marie-Magdeleine Davy (1903-1998)
Publié le 18 septembre 2003
C’est bien la Connaissance, et non le savoir, qui mène à la Vérité. D’abord symbolique, c’est-à-dire révélant une présence absente, la connaissance devient de plus en plus totale au fur et à mesure que l’on entre plus avant dans la compréhension des trois Livres : Nature, Ecritures, Intériorité.
« […] « Je vais vous dire le fond de mon caractère: l’indépendance. Constante. J’ai quitté ma famille à dix-huit ans, ce qui pour l’époque était un beau scandale. Pas par mésentente avec mes parents, par indépendance seulement. Même au lycée, je n’ai jamais pu me lier à un groupe. Toute ma vie, j’ai tourné autour des groupes, des communautés, sans pouvoir y rentrer durablement. Simone Weil dit qu’elle ne supporte pas le « nous ». Je suis comme elle.
Je déteste les ségrégations, quelles qu’elles soient.
Tout ce qui est mondain, superficiel m’est inconnu. Je n’en ai jamais eu le goût. Mon tempérament ne s’attache pas aux relations purement formelles. Je déteste la violence.
Les racismes me révulsent sous toutes les formes.
[…]
Ma vie, c’est solitude-contact, solitude-contact.
J’aime beaucoup les êtres. Tous. Kierkegaard, dans un texte très peu connu, affirmait à un ami, à l’approche de sa mort « Tu diras aux hommes que je les aimais ». Eh bien, moi aussi, je peux dire cela. Oui, j’aime vraiment les êtres.
J’oublie toujours les motivations qui permettent le premier contact. Cela n’a pas d’importance.
Quand je suis à l’étranger ou en province, je vais souvent dans les cafés, j’adore les lieux de passage.
J’ai l’impression que je connais tous les êtres. Connaître d’une heure ou de dix ans, d’une certaine manière, c’est pareil. Dans un avion ou un train, je peux avoir une conversation très importante avec un inconnu et ne jamais le revoir ensuite. On peut dire que j’oublie les visages. Mais je porte tous ceux que j’ai rencontrés dans mon coeur, ils tombent dans ma profondeur.
Le fait de ne pas connaître, cela n’existe pas. Nul n’est inconnu. Je peux inviter n’importe qui à ma table. Je ne me souviens pas facilement des noms. C’est secondaire.
Oui, vraiment, j’aime les êtres d’une con-naissance selon Claudel. Vous savez, con-naître, cela veut dire « naître avec « . C’est le vrai sens du mot « gnose ».
La seule chose importante: la transparence, se rendre transparent, laisser transparaître le mystère.
Je ne conseillerais jamais à personne de changer de tradition, à part cas très exceptionnels. La fidélité au sens d’un engagement consenti fait partie de l’existence humaine. En tant que chrétiens, nous devons passer par le Christ ressuscité. Pas d’autre chemin possible.
J’ai bien souvent éprouvé le désir de devenir orthodoxe. C’est quelque chose de très profondément ancré en moi. Cela vient-il aussi de mon amour pour l’âme russe? Pas seulement. L’Orient, depuis les Pères du désert, vit un christianisme magnifique.
Il y a en moi la nostalgie de l’Eglise primitive, celle des deux premiers siècles, avant la constitution des dogmes et des institutions, avant la lutte contre les hérésies.
Nous vivons une époque où la religion de l’Esprit s’avance, même si la recherche doit durer longtemps encore. A cet égard, l’unité entre l’Orient et l’Occident est absolument indispensable. J’y consacre toute mon énergie. Elle ne peut se faire qu’au niveau des mystiques. Toutes les religions se rejoignent à la fine pointe de l’expérience intérieure, dans l’approche du mystère de la déité. C’est pourquoi l’itinéraire de Dom Le Saux constitue une donnée fondamentale pour notre temps.
Il faut parler de ces choses avec une extrême discrétion. Toute confidence dans l’ordre de l’intériorité est délicate. Nous devons lâcher nos ego qui n’ont vraiment aucune importance.
La mort se prépare. Elle nous surprend presque toujours dans l’inachèvement, mais il faut vivre sa mort avant qu’elle ne survienne. Accepter, aussi, certaines questions sans réponses à propos du corps de chair, de ce que nous devons en faire. Les Orientaux le brûlent, nous l’enterrons.
Je n’ai aucune mission. Pas une seconde je ne me considère comme quelqu’un qui sait. Le savoir n’a aucun point de contact avec la Connaissance. La voie de la Connaissance me guide sans cesse. Plus que la bhakti. Naturellement, cette Connaissance est Amour.
Il y a pour moi trois livres. Les autres sont inutiles quand on s’est dépouillé du savoir. Les trois livres sont la Nature, les Ecritures (de chaque tradition), le Livre intérieur. On s’achemine de l’un à l’autre. D’abord, c’est une connaissance symbolique, au sens où le symbole révèle une Présence absente. Puis vient le temps où l’on abandonne le symbole, où l’on n’en a plus besoin, où le voile est levé. »
LES ÉCRITS DE MARiE-MAGDELEiNE DAVY
Sa formation philosophique, son amour du Moyen-Age et surtout du Xlle siècle, période de l’épanouissement du symbole en Occident, sont la source de nombreux ouvrages éditions scientifiques, traductions, études de théologie, analyses de l’art.
[…] ”
Les carnets du yoga, n°3, mars 1979, pp. 2-15.