Une existence à la recherche de l’être
Publié le 19 avril 2005
Le cœur de chacun, ici compris au sens symbolique, doit être bien réglé pour permettre une existence libre et heureuse. Pour cela, il doit privilégier le désir de dépassement par rapport aux désirs produits par la société du spectacle, et mobiliser toutes ses forces, même si souvent opposées, dans un même élan d’amour.
« L’éveil du coeur, quels que soient les milieux culturels où il s’est dévoilé, s’exprimait autrefois dans un langage, des gestes, des croyances dominés par des traditions, qui formaient une sorte d’axiologie sociale, un ensemble de directives exemplaires, plutôt qu’une méthode invitant la personne à se diriger par elle-même. Il suffisait d’évoquer avec chaleur les grandes images et idées du passé, les modèles de sages, de héros, de saints, d’ancêtres réputés pour leur courage, leurs vertus, leur savoir. La force et la caution du modèle servaient de phare et de souffle pour susciter et guider l’éveil. Les exemples du passé se sont appauvris et affaiblis ou, du moins, ont changé de forme et de sens. Les secousses meurtrières de l’histoire, les sciences et les techniques nouvelles, le tourbillonnement des philosophies et des idéologies, la réapparition des gnoses, de l’ésotérisme et des syncrétismes, la reviviscence des mythes, des courants religieux ou initiatiques, les variations des méthodes psychothérapiques, d’innombrables pistes de transformation ou de perfectionnement intérieur, entraînent une évolution profonde du psychisme contemporain. Il se trouve souvent partagé, voire déchiré, entre deux tendances opposées : soumission aux influences dominantes ou recherche autonome d’un perfectionnement intérieur. Le goût personnel de l’autogestion, de l’indépendance, ne cesse de grandir dans les consciences d’aujourd’hui. Mais dans quelles directions ? Alors se pose le problème de l’éveil du coeur. »
UNE TRANSFORMATION LIBERATRICE
« L’équilibre est loin de signifier ici l’immobilisme, la moyenne, voire la médiocrité. Il vise au contraire une telle organisation des énergies intérieures qu’elles deviennent plus actives, plus efficaces, plus coordonnées, plus créatrices. Loin de se présenter comme une simple « théorie du juste milieu », l’éveil du coeur s’affirme comme un élan bien ordonné vers le progrès dans l’être. »
L’UNITE COMPLEXE DU COEUR EN EVEIL
« C’est l’être tout entier de la personne qui s’éveille sous l’impulsion du coeur. Loin de désigner l’organe physique, dont le nom sert ici d’image symbolique, le coeur est entendu dans un sens psycho-moteur, comme le centre de la vie affective, imaginative, intellectuelle, ou mystique de l’homme. (…) Un tel coeur en éveil associe dans un même mouvement tous les pouvoirs de la personne, tout ce qu’elle éprouve, anime et organise, émotions et passions, doutes et certitudes, souvenirs et projets. Source et ressource des énergies vitales, il commande la dynamique du progrès intérieur : savoir où aller, de quelle force user pour y parvenir. Cette force sera l’amour, cette clarté sagesse, doublée parfois d’une conviction religieuse. Mais cette liberté intellectuelle, morale et affective est plus difficile à exercer que la soumission aux impulsions diverses de la nature, des habitudes et du milieu. « La liberté », disait Thomas Mann, « est une chose plus complexe et plus subtile que la violence ». L’éveil du coeur témoignera de sa liberté dans le choix du sens du chemin à parcourir et dans les actes à accomplir. »
DE L’INITIATION RITUELLE A LA TRANSFIGURATION REELLE
« La symbolique de l’éveil du coeur figure dans les rites initiatiques comme l’image d’une ouverture sur un autre monde qui serait comme la parabole ou l’hyperbole de la forme d’existence désirée. Cet au-delà est celui de l’intemporel ou permanent dans un état bienheureux ; de l’illuminé, par opposition à l’obscur. »
LES PHASES D’OMBRE
« Du crépuscule au réveil, de la lumière de midi aux ténèbres de minuit, l’éveil du coeur peut traverser des ombres aussi bien dans les rêves du sommeil que dans les réflexions du jour. Jung est sans doute le psychologue qui a le mieux décrit ces zones et ces phases d’ombre, qui, à un moment ou à un autre, affectent tout être humain. C’est comme une force silencieuse et cachée à l’intérieur du « moi », qualifiée par les psychologues de termes divers : seconde personnalité, double mystérieux, côté démoniaque, ombres de la nuit, défoulement ou refoulement, inconscient. Ce « moi obscur » agit sur l’autre moi qu’il endort, excite, trompe ou détourne de l’éveil du coeur. Il représente le conflit de la conscience et de l’inconscient, d’une raison sage et libre avec un pouvoir aveugle et caché. Il endort au lieu d’éveiller, il détourne le coeur, comme un mauvais rêve, au lieu de le guider vers les hauteurs. Ombre psychique, ombre physique, double lourdeur d’une puissance indiscernable. Il appartient au coeur éveillé d’ « accepter » l’inéluctable, tout en s’efforçant d’en reconnaître l’existence, de l’éclairer, de se le concilier, de l’entraîner dans son évolution. Un tel coeur s’enrichit de découvrir, de comprendre et d’équilibrer ses antagonismes cachés, de dompter son Mephisto intérieur, en l’englobant, autant qu’il serait possible, dans son oeuvre de transfiguration globale de la personnalité. »
VERS UN DEPASSEMENT DU MOI
« Le sacrifice du sensible prend pour beaucoup (de Mystiques) la valeur d’une sacralisation plutôt que d’une suppression. Tant que l’homme vit en ce monde matériel, la sagesse ne réside pas nécessairement dans une coupure entre le sensible et le spirituel, tout acte portant la marque, nécessaire autant qu’inégale, de l’un et de l’autre. Dénigrer l’un, comme le fait d’un côté l’extrémisme gnostique, et de l’autre le sensualisme, c’est ignorer, voire mépriser, la riche et merveilleuse complexité de l’être humain. L’éveil du coeur ne choisit pas entre les deux extrêmes, il tend à les harmoniser sous la lumière de l’intelligence et la chaleur de l’amour. »
UNE ASPIRATION VERS UN MIEUX ENCORE INACESSIBLE
« Révélateur d’un manque intérieur, mais aussi d’une présence silencieuse, l’éveil s’affirme dans un appel à moi-même, venant du fond de mon coeur. Issue du désir, une rencontre s’amorce, qu’en même temps il recherche et redoute. Cet appel résulte des forces opposées, mais non toujours contradictoires, qui orchestrent nos conflits intérieurs, l’une exprimant une aspiration fondamentale à une vie meilleure, l’autre l’étouffant sous le poids de satisfactions immédiates ou d’épreuves désespérées. »
LE DEVOILEMENT DU DESIR
« L’appel du coeur procède ainsi d’un désir initial, venu lui-même du triple sentiment d’un manque, d’un possible, d’une capacité qui n’a pas encore atteint son objectif. D’où cette recherche qui s’affirme dans l’éveil. La société d’aujourd’hui est une excitatrice du désir. »
LA TRANSFIGURATION DU COEUR EVEILLE
« L’éveil du coeur, tel qu’il s’est transfiguré, ne désigne plus dans l’amour, toute passion dominée, que l’élévation la plus généreuse. Il tend alors à harmoniser dans l’unité complète de la personne les forces diverses qui la composent, du physique au psychique, embrassant tous les sens et toutes les facultés. (…). Il ne se substitue à rien, il entraîne tous les constituants de l’être dans une direction et une communion aussi parfaites qu’il serait possible. Il libère, il anime, il ne commande pas. »
NE DU DESIR ET DE L’AMOUR, L’EVEIL DU COEUR LANCE UN APPEL A L’ACTION
« Comme il convient de ne détruire aucune des forces qui nous animent, on cherche d’abord la racine de toute opposition et les moyens d’agir sur elle, autant que possible en la réorientant sans affaiblir son pouvoir. »
Revue Française de Yoga, N°5, « L’espace du coeur. », janvier 1992, pp.165-181.