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Une expérience de la relation entre maître et disciple en Inde

Publié le 02 août 2005

La relation de guru à disciple donne l’opportunité à Ananditha de renoncer aux logiques occidentales et de se consacrer à l’Autre. L’enseignement de son maître lui permet de refonder son monde intérieur ; la musique lui apprend une nouvelle manière d’habiter le temps et d’être habitée par Dieu.

I – SHANTI, LA PAIX

(…)

Je me remis à jouer. Uttam ne me quittait pas des yeux. Il m’encourageait à faire des variations et dès que je réussissais, me poussait à en faire d’autres par un petit hochement d’amitié ; puis il se mit à jouer avec moi : tous les mouvements de son tabla étaient spécialement étudiés pour correspondre exactement à mes variations, comme un dialogue musical. Il me parlait à travers la musique et ce qu’il me disait était très émouvant ; j’étais presque gênée de l’importance qu’il m’accordait. Il était complètement avec moi, secouant la tête en acquiesçant à la fin d’une phrase difficile, me lançant un sourire de compréhension si j’hésitais. A ce moment, je fermais les yeux, incapable de soutenir plus longtemps ce regard brûlant. Je nageais dans la musique et aurais été dans l’incapacité de dire par quel miracle je suivais le rythme qui s’accélérait. Pourtant les notes coulaient d’elles-mêmes et, finalement, je n’avais pas l’impression de faire un effort surhumain. Je rouvris les yeux et Uttam me regardait toujours avec une intensité qui pénétrait jusqu’au fond de mon être, et me donnait le vertige. J’étais complètement hypnotisée.

Je réalisais alors que la notion de guru n’est pas à prendre à la légère. C’est une relation qui exige la plus grande sincérité. Jamais encore je n’avais eu à vivre des relations aussi écrasantes par leur authenticité. Don total de soi, non pas pour posséder, mais pour être possédé par une connaissance plus grande, à la fois liberté totale, intégrité de chaque être, mouvance de l’esprit dans les hauteurs fantastiques de sphères inconnues, paix trouvée dans l’effort et la complicité, l’aide mutuelle permanente, compréhension incompréhensible pour le reste du monde ; retrait total de la vie ordinaire et entrée dans un univers où la dualité a disparu. L’union parfaite et primordiale …. Je ne pus m’empêcher, comme une indienne l’eût fait, de remercier Sarasvati. Et comme pour me répondre, le swami dit : « C’est très bien. Vous avez de la chance de jouer comme cela. Vous avez un très bon Guru qui vous aime beaucoup ».

II – VRITTIS : « TURBULENCES »

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Il était tellement difficile de dire où commençait l’amitié, où finissait l’enseignement, l’un n’allant pas sans l’autre. Bref, j’étais plus moi-même et je regardais avec une certaine distance le film des derniers événements, décidée à conserver un équilibre, à prendre conscience de ma force et de ma vulnérabilité. Je me demandais si Uttam n’était pas parfaitement au courant de tout ce qui se passait et si ce n’était pas en toute connaissance de cause qu’il m’apprenait à vivre selon le Karma Yoga de la Bhagavad-Gita. En effet, je me sentais à présent dans la nécessité constante de discipliner mon esprit, étant soumise à un effort violent pour m’adapter aux situations qu’il m’imposait. C’était peut-être cela le sens du « disciple »… Je voyais, bien que nous n’en ayons jamais parlé, qu’il attendait de moi une attitude de détachement, une prise de recul, une ouverture d’esprit plus grande pour avancer vers une vérité qu’il tentait de me faire appréhender…

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« Ananditha, bonsoir. J’espère que tu te sens bien car nous allons commencer quelque chose de nouveau. Un Raga différent, sur un autre tal, beaucoup plus difficile …. Allez, tu es forte ! Tu es pakah ! » Dès que la musique commença, je me retrouvais dans un état de perception encore plus inhabituel. J’eus soudain l’impression que le temps s’était étiré, qu’il n’avait plus de « durée » propre, mais qu’il était composé d’une infinité d’instants subtils, éternels. Je contrôlais parfaitement mon Raga et me « sentais » au-dessus de moi-même, me regardant jouer, écoutant avec fascination le tabla qui déployait ses mesures avec une rapidité prodigieuse. Mon coeur battait très vite, mais je pensais à garder le contrôle de ma respiration, en faisant très attention de ne pas lâcher le tempo. J’étais parfois prise de panique car ce qui se passait me déconcertait. Comment pouvais-je me rappeler sans erreur ce que je venais d’apprendre ? Pourtant, en m’écoutant, il me semblait de toute évidence que le problème ne se posait pas; je savais ce Raga, je le visualisais dans son essence profonde. J’en comprenais sans difficulté le rythme et la mélodie. Dès qu’une pensée « parasite » m’assaillait, elle était immédiatement rangée dans une case de ma mémoire. Je prenais alors un plaisir curieux à observer la scène, comme si cela était un jeu gigantesque dont je connaissais les règles avec précision. Une extraordinaire sérénité se dégageait peu à peu de moi. Je me voyais flotter au-dessus du sol, en pleine méditation et regardant avec tendresse mon double exécuter la musique, sans en être le moins du monde influencée. Je ne sais pas combien de temps cela dura, mais tout d’un coup, à bout de forces, je lâchai ma flûte.

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III – GURU

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J’avais le droit de juger Uttam également, car il pensait que moi aussi, j’avais des choses à lui apprendre pour la conduite de la vie, mais dès que le sujet portait sur la musique, je devais me soumettre à lui, sans ouvrir la bouche. Mais le fond du problème se trouvait justement dans l’esprit différent qui nous habitait. Pour moi, discuter avec lui signifiait ma curiosité, je voulais en savoir plus, je ne voulais pas accepter un savoir fragmentaire et j’utilisais ma logique occidentale pour comprendre le pourquoi des choses. Uttam faisait de petites erreurs qui perturbaient le schéma que je construisais dans ma tête et je relevais immédiatement ce qui ne cadrait pas avec mon perpétuel esprit d’analyse afin de chercher à expliquer ce que je ne comprenais pas. Bien sûr, cela soulevait immédiatement des tempêtes de protestations. J’étais instantanément réprimandée et remise à ma place d’apprenti, de « sadhak » qui ne possède pas la connaissance de ce qu’il affirme. J’en arrivais à voir Uttam avec un autre oeil.

(…)

Revue Française de Yoga, n° 1, « De maître à disciple », janvier 1990, pp 61-80

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