Le Monde du Yoga

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Une initiation à la vie d’oraison au XVIIe siècle

Publié le 22 septembre 2003

C’est dans le rapport maître-disciple, fondé sur la direction de conscience, que s’épanouissent vraiment les dévots normands du XVIIe. : relation de confiance et de compréhension sympathique, cet attachement à un directeur spirituel permet aux dirigés de vivre ce qu’ils ressentent comme une fraternité spirituelle. Sans négliger pour autant l’oraison contemplative.

C’est dans le rapport maître-disciple, fondé sur la direction de conscience, que s’épanouissent vraiment les dévots normands du XVIIe. : relation de confiance et de compréhension sympathique, cet attachement à un directeur spirituel permet aux dirigés de vivre ce qu’ils ressentent comme une fraternité spirituelle. Sans négliger pour autant l’oraison contemplative.

EXTRAITS :

« L’étude des rapports qui s’instaurent entre maître et disciples dans ce groupe précis qu’est le milieu dévot normand dans la première moitié du XVII°siècle se justifie tout particulièrement par le besoin de formation religieuse et de contacts spirituels qu’expriment ses membres, ils forment un groupe très homogène dont la mentalité est caractéristique de celle du parti dévot à celle époque. Ses adhérents, désireux de confronter et de partager leurs états intérieurs, trouveront d’abord dans leur participation aux grandes congrégations secrètes catholiques le moyen de développer des échanges et de satisfaire ainsi leur besoin de fraternité spirituelle. Mais ils éprouveront très vite la nécessité d’approfondir l’apport de cette formation indirecte par une pratique religieuse plus originale et surtout plus personnelle. C’est ainsi qu’ils créent en Normandie même, le 4 Juillet 1645, l’Ermitage, sorte de couvent sans clôture où un laïc, Jean Bernières de Louvigny, instruit et conseille les dévots qui désirent à la fois faire des retraites solitaires et se joindre à des pratiques communes de piété.

Les rapports qui se développent dans cette petite société pieuse entre quelques disciples choisis et un maître à penser original soulignent le rôle primordial du directeur de conscience dans le cheminement intérieur du fidèle: à la fois guide spirituel et soutien moral, il apparaît surtout, en fin de compte, comme le partenaire nécessaire de l’expérience mystique. Et c’est l’intérêt et l’originalité de ce petit groupe que d’avoir tenté de concilier le caractère incommunicable de l’expérience mystique et le besoin fortement ressenti de solidarité spirituelle. Un certain nombre de similitudes justifient d’ailleurs le développement de leurs affinités religieuses de fait: les personnages dont il va être question ici atteignent, pour la plupart, leur maturité spirituelle entre 1640 et 1660, lis appartiennent presque tous à de grandes familles aristocratiques normandes, qui jouent un rôle social influent, et exercent une activité charitable importante, comme les Bleuet de Camilly, anoblis en 1610 pour services rendus, les Bernières de Louvigny qui sont issus de la noblesse de robe et les Renty, originaires de l’Artois et implantés depuis plusieurs siècles en Normandie.
[…]

Jean de Louvigny et de Renty

Sans faire une recension exhaustive de tous les membres qui composent ce groupe dévot, ce qui serait fastidieux et sans intérêt, il faut surtout dégager ici les deux personnalités laïques qui l’ont animé et dont le rayonnement spirituel a dépassé les frontières de la Normandie. Le premier, Jean de Louvigny, né en 1602 Caen, appartient à une famille très pieuse qui montre une dévotion particulière au Rosaire.Il est avec son ami, Gaston de Renty, à l’origine de toutes les fondations caennaises de son époque, qu’il soutient de son crédit et de sa fortune personnelle: l’Oratoire, les Ursulines, la Visitation, les Bénédictines du Saint Sacrement, et deux établissements qui lui tiendront particulièrement à coeur, l’Hôpital des pauvres renfermés, créé en 1633 pour abriter les enfants abandonnés, et Notre Dame du Refuge, fondé en 1634, sous l’impulsion de Saint Jean Eudes pour accueillir les femmes repenties.

Mais toute son activité charitable ne trouve sa raison d’être que dans l’approfondissement d’une vie contemplative et dans les réflexions qu’il en tire. Son cheminement intérieur est marqué par une progression constante sur la voie du dépouillement de soi -en 1647, il fait voeu de pauvreté et remet la gestion de son patrimoine entre les mains de sa famille. Il se consacre aux travaux les plus humiliants et s’impose des pratiques ascétiques de plus en plus sévères. Cependant cette quête de l’anéantissement de soi n’a de sens que par sa finalité, à savoir l’établissement en Dieu qui est le centre unique, le repos et la béatitude de l’âme . A l’homme, dit Jean de Louvigny, revient « le néant, le mépris, l’abjection… toute imperfection et toute misère. A vous mon Dieu, tout l’être, et à moi tout le néant ». Tout l’objet de sa recherche spirituelle concerne les moyens d’accéder à l’oraison passive, c’est-à-dire de trouver au centre de l’âme la majesté de la présence divine.

Enfin, il faut évoquer ici la grande figure du baron de Renty, ami intime du précédent: il apparaît en quelque sorte comme son double, moins sensible aux questions de théologie mystique et davantage tourné vers l’action charitable. Né en 1611, au château du Bény–Bocage, en Basse Normandie, fils unique, il est le seul héritier du nom et de la fortune des Renty, car son père en épousant sa cousine a réuni les deux rameaux de la famille. Il fait ses études chez les Jésuites de Caen, rentre à l’Académie Militaire et épouse sur l’injonction de sa mère, en 1633, Elizabeth de Balzac, dont la famille illustre est très proche de la couronne. Destiné à un brillant avenir mondain, il n’y renoncera totalement qu’à la mort de son père, en 1638, et devra toujours s’opposer à sa mère qui n’acceptera jamais son détachement du monde et sa vocation spirituelle laïque. La découverte et la lecture de l’Imitation de Jésus-Christ en 1626 marque la première étape de sa conversion, qui se réalisera après des années d’hésitations sur la voie à suivre, en 1639, à l’occasion d’une mission des Pères de l’Oratoire près de Paris : « II reçut tant de grâces en cette vocation nouvelle, q.’Il marqua ce temps comme le commencement de sa conversion entière à Dieu et de sa parfaite consécration à son service ».
[…]

Mais cette nouvelle liberté spirituelle qu’il acquiert par la pratique plus intériorisée et plus personnelle de ses dévotions n’est pas un facteur d’isolement moral. Bien au contraire, l’approfondissement de la réforme intérieure contribue au rapprochement des sodales entre eux. Le sentiment de participer à une confrérie permet à ces dévots de satisfaire leur besoin de fraternité spirituelle. Le « maître », c’est-à-dire ici, la Congrégation toute puissante ou son supérieur jésuite, apparaît comme lointain et relativement abstrait: ce qui compte en fait, c’est leur médiation dans l’établissement des contacts entre disciples. Cette sorte de « compagnonnage spirituel » qui s’installe entre les participants leur permet de partager la spécificité de leurs expériences et d’éviter la solitude de l’âme dans la quête de Dieu. Ainsi, dit B. Peyroux, si « nous sommes mal renseignés sur la vie spirituelle dans les provinces françaises au début du XVII° siècle », « cependant, tous les sondages en notre possession nous la font soupçonner intense. La possibilité et les moyens pour les âmes d’arriver à l’union mystique avec Dieu étaient sans nul doute un sujet de préoccupation essentiel jusqu’au fond de régions reculées, et on trouvait un peu partout des prêtres et des religieux qui avaient lu des auteurs ascétiques et mystiques. Il se créait ainsi peu à peu des courants de sympathie, dont les couvents de nouvelle fondation constituaient souvent des centres. Il y a là un aspect de la vie religieuse française du temps encore mal exploré: ces chaînes d’amitié, ces réseaux de prière et de soutien mutuel, aux multiples ramifications…

L’Ermitage de Jean Bernières de Louvigny

Ce nouveau mode de sociabilité religieuse, fondé sur une superposition de structures à la fois souples et hiérarchisées, connaît un extraordinaire succès auprès des milieux dévots du XVII° siècle: il leur apparaît à la fois comme le meilleur moyen de spiritualiser l’action du chrétien dans la cité et comme la voie la plus aisée pour s’initier aux états d’oraison. Ainsi se forment à l’intérieur même du réseau des Congrégation -et en toute indépendance- de petits cénacles où des laïcs cherchent à approfondir la signification de leurs expériences religieuses. C’est le cas de Jean Bernières de Louvigny, qui crée son Ermitage le 4 Juillet 1645: il fait construire en 1646 un petit bâtiment, adossé à l’entrée du couvent des Ursulines, auxquelles il était très lié. Le choix symbolique de l’emplacement traduit déjà le voeu du fondateur de créer une étape intermédiaire entre la vie du siècle et le monde de la clôture. Il s’agit d’offrir aux laïcs, et aux ecclésiastiques qui en éprouvent le désir, la possibilité de se retirer sans pour autant abandonner toute ouverture sur autrui.
[…]

On voit ainsi se dessiner las grandes tendances du groupe de l’Ermitage: l’importance accordée au vécu de l’intériorité religieuse demeure fondamentale et justifie le goût mar-qué des dévots pour l’introspection psychologique, pour la confrontation des expériences au sein de petites sociétés et la direction de conscience. L’approfondissement de la vie chrétienne qui se développa à l’Ermitage pendant quelques mois ou quelques années et qui fait suite à une expérience première et bouleversante laisse ainsi une large place à l’exercice de la parole, qu’il s’agisse de la lecture de la parole évangélique, de le parole commentée du Maître, de la parole échangée entre disciples, ou de la parole intérieure. Cette présence de Dieu perçue quelques instants, souvent de manière fulgurante, dans des circonstances exceptionnelles, les « convertis » vont tenter de la retenir, de la revivre et de le prolonger par une pratique assidue de l’oraison sous la direction de Jean de Louvigny.

Le Directeur de conscience

C’est pourquoi il faut rappeler ici que les rapports qui s’instaurent dans ce cadre entre maître et disciples sont fon-dés sur la direction de conscience au sens large du terme. De fait, le Père Jean-Chrysostome de Saint Lô dirige Jean Bernières de Louvigny; ce dernier, quoique laïc, dirige Jourdaine, sa soeur, prieure des Ursulines de Caen, de même que Gaston de Renty dirige Mère Elisabeth de la Trinité, prieure du Carmel de Beaune et est dirigé par le Père Saint Jure. […]

C’est donc à travers ce lien spirituel traditionnel que ces dévots partagent leur vécu religieux; les uns et les autres attachent une très grande importance au choix de leur directeur […].

La première qualité d’un directeur de conscience consiste en l’intelligence des choses spirituelles: il doit faire preuve de clairvoyance et savoir discerner les esprits. Ces facultés intellectuelles doivent se fonder sur une importante culture religieuse et mystique qui, seule, permet de distinguer et de déchiffrer le sens des mouvements intérieurs […].”

Revue Française de Yoga, n°1, « De maître à disciple », janvier 1990, pp. 39-54.

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