Le Monde du Yoga

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Yoga et chant, les résultats d’une expérience personnelle

par Laurence Maman-Courtejoie | Publié le 17 septembre 2003

Education du souffle, de l’attention et de la mémorisation, la pratique du chant permet aussi de travailler les postures du corps. Ainsi, elle est conforme aux principes du yoga, et peut avoir des incidences physiologiques très bénéfiques, comme le note Patanjali. Mais plus encore, le chant est source de confiance et sérénité.

« QUELQUES COMMENTAIRES A LA LUMIERE DE REPERES HISTORIQUES

Je partirai des aspects de la tradition indienne qui m’ont été enseignés en relation avec le chant.

Pour Sri T. Krishnamacharya, le chant peut être considéré comme la plus grande discipline, tapas, moyen d’évolution. Sur le plan symbolique, le son fait d’abord référence au plus subtil des éléments, âkâsha, « l’éther », « l’espace », celui qui donne leur place aux autres éléments.

Le son est aussi présenté comme résultant de l’interaction entre le souffle et le feu en nous, le feu situé au centre du tronc, vers le diaphragme, et également impliqué dans les processus de digestion et de production de chaleur dans le corps; et le souffle sur lequel nous agissons en pratiquant le prânâyâma.

Les sons que nous produisons prennent leur origine dans la région comprise entre le ventre et le coeur. On parle d’effort interne, âbhyantara prayatna, en ce qui concerne cet appui diaphragmatique, cette impulsion abdominale indispensable pour que les sons puissent sortir avec puissance, sans effort, et stabilité, et sans que ne se créent des tensions inutiles dans la région concernée ensuite, celle de la gorge et de la tête. En effet, la deuxième partie de l’effort propre à l’émission vocale est appelée bâhya prayatna, effort externe, et concerne la vibration des cordes vocales, l’amplification du son ainsi émis dans les caisses de résonance situées en particulier dans la tête (bouche, fosses nasales, sinus, cavités du crâne) ainsi que l’articulation en sons différenciés grâce à la langue et aux lèvres.

A partir du moment où on envisage l’émission de sons vocaux par une personne, on touche aussi à la relation entre des éléments qui concernent en particulier, mais pas seulement, la communication, et qui sont décrits dans les Yoga sûtra de Patanjali par trois mots: shabda, artha, jnâna.

Shabda désigne le son lui-même, le mot, les sonorités des mots prononcés. Ces sonorités ont en elles-mêmes leur propre force. Il est considéré comme très important d’avoir une prononciation correcte et potentiellement nuisible d’avoir une prononciation incorrecte. Dans la tradition orale indienne, il est demandé d’apprendre d’abord à répéter « comme un perroquet », notion qui n’a rien de péjoratif: par exemple, en ce qui concerne le chant védique, les règles sont codifiées. L’élève écoute attentivement le maître répéter un mot ou une phrase, il répète ensuite deux fois après lui, le professeur le corrige si nécessaire et on progresse ainsi, fragment de texte après fragment de texte. Un peu plus tard, l’élève, déjà familiarisé avec ce qu’il chante, répète seulement une fois après le professeur. Peu à peu, ils en arrivent à chanter en alternance, une phrase l’un, une phrase l’autre, puis tout à fait ensemble.

Dans le premier chapitre de la Taittirîya Upanishad sont exposées six règles fondamentales définissant avec beaucoup de rigueur l’art de la répétition correcte:

1) varna: la juste prononciation. […]
2) svara: la hauteur, les notes correctes. […]
3) mâtrâ: la mesure, la longueur, la durée de chaque son. […]
4)balam: la force d’articulation. […]
5)sâma: la musicalité. […]
6)santana: l’art des pauses. […]

Un texte ainsi appris, c’est-à-dire écouté et répété avant qu’on ne cherche à le comprendre, semble laisser un « sillon » particulièrement fort dans la mémoire de l’élève. A notre époque, ce processus d’apprentissage a pourtant tendance à être inversé. Il serait peut-être bon de comparer les effets de ces deux méthodes.

Artha représente l’objet désigné par le mot. Il s’agit d’une réalité à laquelle, dans chaque langue, ont été associées telles ou telles combinaisons de sonorités.

Jnâna correspond à la connaissance que ‘on a de l’objet désigné par un mot. Il s’agit de tous les processus mentaux qui se déclenchent à propos d’un objet, de toutes les associations qui se sont créées et, ou bien permettent d’en approfondir la connaissance, ou bien constituent une entrave en posant des écrans sur la réalité nue.

Shabda, artha et jnâna sont « mis en scène » dans les Yoga Sûtra de Patanjali à propos de la définition, vikalpa, qui est le processus mental dans lequel les mots et les pensées interfèrent en l’absence des objets concernés (YS I, 9) ou encore à propos de savitarka samâpatti (YS I, 42), état de samâdhi relativement « grossier » dans lequel on n’arrive pas bien à établir une discrimination entre l’objet, son nom et les idées émises à son propos alors que, quand la « mémoire est purifiée » (I, 48), nirvitarka samâpatti est un état de perception pure dans lequel « seul l’objet est brillant vu dans sa simple réalité ».

Pour revenir à la récitation védique, adhyâyanam, le premier stade, sur lequel j’ai beaucoup insisté, shravana, concerne donc l’écoute et la répétition, c’est-à-dire shabda; il est suivi de deux autres étapes faisant intervenir la réflexion: manana, la recherche de la signification du texte mémorisé, puis nididhyâsa, la réalisation, lorsque la compréhension a été acquise en profondeur et que l’élève devient susceptible d’enseigner à son tour. Peut-être le fait de donner tant d’importance au mot est-il un moyen de moins se perdre dans la confusion entre mot, objet et idée.
[…]
Il semblerait qu’il existe, en ce qui concerne la forme qu’a pris le chant, une similitude d’évolution entre la tradition indienne et la tradition grégorienne. En effet, en Inde, pour prononcer les textes que l’on devait, au départ, apprendre par coeur, on a commencé par les psalmodier en accentuant simplement les syllabes sous la forme de la récitation sur trois notes que j’ai déjà évoquée: c’était le chant védique. A partir de cette forme sobre et rigoureuse, neutre émotionnellement, on a peu à peu développé une plus grande musicalité déjà sensible dans le sâmaveda, ce processus se continue dans la musique chantée qui devient « artistique » (tout en se basant sur des thèmes religieux), beaucoup plus complexe et ornée; c’est par exemple, en Inde du Sud, le chant carnatique. Cette forme aboutie de chant nécessite bien sûr une technique vocale beaucoup plus élaborée.

De même, la récitation chantée des psaumes est la forme de base du chant grégorien. L’origine du répertoire grégorien, organisé vers les VIIe, VIIIe siècles à partir des liturgies existant dés les IIe, IVe siècles autour de la Méditerranée, est en effet la lecture des Ancien et Nouveau Testaments, sous la forme de lectures pour l’enseignement et de la récitation des psaumes chantés à plusieurs (depuis Saint Benoît, l’organisation hebdomadaire du chant de l’office monastique donne au moine occidental l’occasion de chanter tout le psautier – cent cinquante psaumes – au moins une fois par semaine).

Le chant restera toujours au service de l’intelligibilité du texte.

Développée sur un petit nombre de notes, la psalmodie permet de s’imprégner du texte en le répétant.
[…]
Jusqu’à la fin du IXe siècle, on ne trouve pas de trace de notation du chant grégorien, cette musique peut se transmettre oralement. Et effectivement, l’apparition de la notation a appauvri les subtilités du chant. Cette notation s’est d’abord faite sous la forme de neumes, signes écrits au-dessus des textes, et donnant, selon les cas, des indications d’ordre mélodique et rythmique relativement précises (certaines notations privilégient l’aspect mélodique, d’autres l’aspect rythmique). Plus tard, est apparue la notation dite carrée, sous forme de notes réparties sur des portées de quatre lignes : on devenait certain de transmettre la justesse des intervalles; en revanche cette notation ne tient pas compte du rythme et c’est ainsi qu’il est devenu fréquent d’entendre le grégorien chanté de manière relativement monotone, en notes égales, alors que le respect des valeurs rapides ou longues et des différents groupements de notes donne aux pièces une vie extraordinaire.

La pratique juste du chant grégorien exige, comme dans la tradition indienne, la mise en place d’une posture adéquate, parfois de mouvements : à genoux, assis, debout, en marchant… et un grand contrôle du souffle pour que les ponctuations s’établissent au bon endroit. Les textes insistent également sur la clarté de prononciation.
[…]
Pour terminer cette courte présentation de la tradition grégorienne, je citerai un texte de Saint Augustin: il exprime tout ce que peut apporter la pratique d’un chant orné, qui porte le texte mais brode « au-delà » de lui:

« Dieu est ineffable, mais si aucune parole n’est digne de Lui, d’un autre côté il n’est pas permis de garder le silence sur ses grandeurs, et sur ses mystères. Ne pouvant pas parler, ne devant pas nous taire, l’unique ressource qui nous reste, c’est de jubiler; c’est de nous réjouir sans parole, c’est, quand la joie n’a pas de limite, de franchir celle des syllabes. »
[…]”

Revue Française de Yoga, n°7, « La voix: une voie », janvier 1993, pp. 73-86.

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