Le Monde du Yoga

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Yoga et psychiatrie

Publié le 22 septembre 2003

Le yoga, en participant à la restauration de l’image du corps dans l’espace, donne aux malades mentaux un sentiment de sécurité et de stabilité. Il leur permet de prendre conscience de leur existence propre, mais aussi de celle des autres, en instaurant un climat de confiance et d’échange. Le massage par exemple s’est avéré être très socialisant.

« Nous avons décidé d’introduire le yoga parmi nos activités, après 7 ans d’expérience et de pratique institutionnelle. L’essentiel de cette réflexion et de ce propos porte donc sur la manière dont la pratique du yoga s’intègre dans une stratégie globale de thérapie par l’institution, de personnes souffrant dans une problématique psychiatrique.

L’enrichissement de la pratique du yoga à la thérapie institutionnelle dépasse celle d’un adjuvant technique (voire occupationnel). Il y a entre la finalité de la pratique du yoga et la finalité de l’expérience institutionnelle des rapports de similitude qui les font s’enrichir mutuellement. Ces rapports sont intégrés dans le vécu de la personne souffrant dans une problématique psychiatrique, vécu corporel, vécu psychique reliés parce que porteurs du même sens. C’est donc à la lumière de la pratique thérapeutique institutionnelle qu’est abordée ici la pratique du yoga.

Qu’est-ce que la psychose?

Le Larousse la définit comme « l’ensemble des maladies mentales caractérisées par la perte du contact avec la réalité ». Cette formule lapidaire ne permet ni d’appréhender la souffrance qui s’exprime dans la problématique psychiatrique, ni d’approcher l’être pris dans cette problématique.

L’encyclopédie Hachette apporte des indications sur le vécu psychotique: on a pu dire que la psychose atteignait l’homme dans son humanité, par opposition aux autres maladies qui ne l’atteignent que dans sa corporalité… La perte de la notion du réel et l’irruption d’une fantasmagorie délirante réalisent une autre personnalité (aliénation vient du latin alienus, l’étranger). Un bouleversement spatial l’accompagne: perte des limites corporelles, confusion du dehors et du dedans, du moi, des autres et des objets, ainsi que temporel: sensation de déroulement cinématographique, d’immobilité, d’éternité.

Bien qu’encore approximative (à partir des sentiments d’étrangeté et d’intrusion, peut-on parler d’autre personnalité?) ces précisions permettent une approche compréhensive. Il s’agit d’abandonner un regard totalement « objectif » pour tenter d’aborder le sentiment vécu, la compréhension de « ce qu’il se passe ». S’agissant au bout du compte de l’homme, c’est le minimum que de le considérer non comme objet mais comme sujet.

C’est bien ce vers quoi veulent tendre et la pratique du yoga en tant qu’action spécifique, et la volonté institutionnelle en tant qu’activité générale, et l’une et l’autre dans leur interaction réciproque: redonner à l’individu souffrant dans une problématique psychotique une fonction de sujet, la position de celui qui dit je et entend gouverner son devenir. […]

L’une et l’autre supposent un « parcours obligatoire » qui passe obligatoirement par le sujet lui-même dans son unité corporelle et psychique. La qualité de ce qui est véhiculé par ce « parcours obligatoire » n’est pas très intéressante ici, ce peut être le lavage de la vaisselle au sein du groupe, la prise d’un logement, la mise en place de torsions. Ce qui est important c’est comment quelque chose s’impose comme une tâche à faire par le sujet, qui ne peut être réalisée que par lui-même et comment cela est contenu même dans la proposition.

Il est possible que cette notion de « parcours obligatoire » se retrouve ailleurs que dans la pratique thérapeutique institutionnelle et dans le yoga. Mais ce n’est pas seulement pour limiter notre sujet que nous nous y maintenons. Certes, tout le monde respire, tout le monde mange, tout le monde est « être en relation » et, en général, « ça se fait sans y penser ». Ce sont dans les deux cas des activités essentielles. Or la proposition par exemple de respirer dans les trois espaces rejoint la question (habituelle dans la pratique institutionnelle au foyer de Cluny) de savoir par exemple qui fait les courses pour le déjeuner. Les deux propositions engagent la personne. Plus exactement il convient de dire que les deux propositions proposent un engagement à la personne.

Les auteurs insistent souvent sur le négativisme décrit comme un des traits de la personnalité psychotique. Il est incontestable que la problématique psychotique exprime un refus de la personne. Celle-ci refuse d’être engloutie dans le « sens commun », le discours social qui n’a pour elle aucune valeur authentique. Les personnes souffrant dans une problématique psychotique se réfugient « là », dans une certaine incommunicabilité par exigence d’authenticité, par recherche de leur spécificité. La thérapie institutionnelle va signifier la reconnaissance de la place du sujet dans le collectif (en posant le problème par exemple « qui va faire les courses ») au lieu de le résoudre. Le yoga va signifier la reconnaissance du sujet dans son corps. Cette exigence d’authenticité va dépasser le négativisme de surface pour exprimer une revendication d’existence dès qu’est respecté le rythme propre de la personne, dès qu’il apparaît à l’intéressé que ce qui se passe là ce n’est pas une exigence de l’extérieur mais lui qui le crée de l’intérieur.

Le yoga apporte un éclairage nouveau à la thérapie institutionnelle des psychoses dans la mesure où il confirme -dans un vécu réel- qu’aussi dégradée que puisse être l’image de soi pour l’individu subsiste sa possibilité de création tant que subsiste son SOUFFLE DE VIE.

Les échecs des thérapies analytiques de personnes souffrant dans une problématique psychotique s’expliquent par le fait que les symptômes n’y expriment pas comme dans la névrose un désir refoulé. Dans la psychose nous sommes non pas face au refoulement mais face à une expérience personnelle corporelle non représentée psychiquement. Pour citer Gisèle PANKOW: « La différence entre la névrose et la psychose consiste en ce que les structures fondamentales de l’ordre symbolique, qui apparaissent au sein du langage et qui contiennent l’expérience première du corps, sont détruites dans la psychose alors qu’elles sont simplement déformées dans la névrose ».

Une méconnaissance du yoga pourrait amener à confondre celui-ci avec une pratique méditative. Les effets dans ce cas en seraient catastrophiques en regard de la problématique psychotique car ils renverraient l’individu à son vide intérieur et ne feraient qu’accroître massivement l’angoisse. Or, il n’en n’est rien, bien au contraire: c’est sans doute parce que le yoga est une pratique corporelle qui s’inscrit dans un espace et un moment. Par là le travail de représentation psychique s’opère non comme une révélation, mais comme une création. Le yoga alors opère la même fonction que la pratique institutionnelle dans son ensemble ou que le jeu dans la psychothérapie de l’enfant. Il permet l’élaboration psychique du fait qu’il est un agir qui occupe une place et un temps réels.
[…]

Ce qu’apporte spécifiquement le yoga c’est la notion de posture, c’est-à-dire le fait de tenir. La posture en reposant sur le souffle respecte fondamentalement le rythme de la personne. On pourrait définir la posture comme l’expérience concrète qui permet d’habiter son corps. Or cette possibilité d’habiter son corps est au coeur même de la personnalisation (à contrario l’impossibilité de l’habiter à l’origine de la dé-personnalisation).

Salomon REISNIK appelle personnalisation le mouvement de construction qui permet de « devenir une personne ». Le processus de personnalisation est lié au sentiment d’habiter son corps. HEIDEGGER parle de la relation entre « habiter » et « être » et de la relation entre « résider » et « vivre » c’est-à-dire occuper un espace en l’animant et en le construisant. […]

C’est ici qu’intervient l’intense revendication d’existence de la personne prise dans une problématique psychotique. Le yoga, par sa proposition d’habiter son corps, représente une alternative à la double menace de dissolution et de pétrification que constitue le monde psychotique. Il contribue au « principe de sécurité » essentiel au traitement de la psychose.

Et c’est ici qu’intervient sans doute l’articulation indispensable avec la thérapie institutionnelle dans son ensemble. Il ne suffit pas, ce qui est indispensable, que l’activité soit une proposition non obligatoire: face à l’intensité du morcellement, à la difficulté d’inscription dans l’ici et maintenant du psychotique, celui-ci ne peut accéder à la proposition sans étayage. Il doit bénéficier d’un authentique accompagnement de la part des personnes qui participent à la quotidienneté. Cet accompagnement joue le rôle d’un appui, d’un soutien qui permet que « ça reconstruise ». Cet étayage est dans la réalité mais aussi dans une dimension symbolique. C’est dans la mesure où la vie institutionnelle dans son ensemble signifie au psychotique « qu’il y peut quelque chose dans sa vie » que celui-ci peut envisager d’habiter à l’intérieur de son corps. La vie institutionnelle dans son ensemble environne et interpelle l’être dans le monde à des niveaux et dans des registres fort variés allant du plus archaïque au plus sociabilisé. La proposition faite par le yoga se situe à l’un de ces registres.

Ce qui distingue ces différents niveaux c’est la manière dont se joue la confrontation de la réalité intérieure et de la réalité extérieure, c’est le dosage dans l’expérience humaine du « narcissisme » et du « socialisme ». Il n’est pas d’authentique thérapeutique institutionnelle des psychoses sans qu’ait lieu cette négociation-là. C’est elle qui permet l’accès à l’ordre symbolique dont l’absence est le signe de la psychose. Le yoga joue une place particulière dans cette négociation.

En effet le yoga participe à la restauration de l’image du corps dans l’espace.

Or la structuration de l’image du corps peut être considérée comme le paradigme de la fonction de symbolisation. L’expérience corporelle vécue dans le yoga va jouer le rôle de « greffe de transfert ». Dans un deuxième temps -et dans un deuxième temps seulement- il s’agira d’une expérience corporelle et psychique, une ébauche de représentation de l’unité corporelle venant se substituer progressivement à la présence d’objets bizarres encombrant le vécu psychotique. Celle-ci va se retrouver transposée par le psychotique lui-même dans son vécu quotidien, dans des activités sociales, dans d’autres activités d’expression, etc.

Le pensionnaire va jouer de cette dialectique entre l’expérience corporelle (puis corporelle et psychique) au yoga et l’expérience globale comme acteur de l’institution dans son ensemble. C’est ici que se trouve la fonction thérapeutique. Elle ne tient pas à la capacité de fournir une bonne interprétation (de quoi?) au bon moment. Elle tient dans la capacité de permettre au pensionnaire de se surprendre lui–même dans sa capacité de création, d’existence en propre.
[…]

En refusant de participer à l’univers totalitaire du monde psychotique, l’institution lui propose une ouverture où il puisse rentrer en possession de son devenir.

Il y a dans le yoga une dimension qui permet d’appréhender la valeur de l’instant. Cela tient sans doute dans la double proposition de tenir (la posture) et de relaxation. Il s’agit là (comme il a été souligné) d’un AGIR. En même temps c’est une proposition différente voire antinomique de l’acte, de l’action telle que définie et prisée dans la pensée occidentale, orientée vers une finalité et non considérée pour elle-même.

La même dialectique est ici en oeuvre entre l’activité spécifique yoga et l’expérience institutionnelle. L’appréhension de l’instant au yoga s’inscrit pour le pensionnaire du foyer dans un contexte où l’institution entend signifier une dimension d’ouverture. Elle est la ponctuation nécessaire qui permet de se forger une appréhension correcte du temps qui passe.

A travers la participation à la restauration de l’image du corps propre et à la prise de possession du temps vécu, le yoga assume sa fonction thérapeutique face au jeu dialectique entre l’aventure institutionnelle auquel il participe et l’engagement corporel et psychique du yoga: le psychotique renonce à sa toute puissance, accède à l’ordre symbolique, participe, en créant, la réalité sociale.

L’aventure institutionnelle et le yoga participent du même mouvement d’accession à l’autre symbolique. Le yoga, parait-il, vient d’un terme qui veut dire atteler, unir: le « symbole », d’un mot grec qui signifie jeter ensemble.

Entre le ciel et la terre l’homme s’ouvre sur les autres et s’unit.
[…] ”

Les carnets du yoga, n°77, mars 1986, pp. 2-22.

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