Zazen, l’unité entre le corps et le mental
Publié le 25 septembre 2003
Plus zazen est pratiqué, plus les perturbations du mental semblent importantes. En fait, c’est parce que faire zazen permet de prendre conscience des perturbations qui agitent le mental. Et ultimement, cette prise de conscience permet de dépasser ces tourments et illusions, et d’atteindre l’état de Bouddha : seule reste alors la sensibilité.
« UNE POSTURE JUSTE POUR MIEUX CONTROLER LE MENTAL
« Pour mener à bien la libération au moyen de zazen, il est nécessaire de se rendre libre des distractions qui viennent des objets extérieurs perçus par les sens et des perturbations du mental, de telle façon que corps et mental ne soient plus qu’un et que mouvement et immobilité ne soient plus séparés.
Lorsqu’on désire commencer zazen, on place un coussin épais dans un endroit silencieux, on se vêt d’une robe et d’une ceinture plutôt desserrées et on dispose en bon ordre tout ce qui se trouve autour de soi. Ensuite, on s’assied en croisant les jambes dans la posture du lotus: on commence par placer le pied droit sur la cuisse gauche, puis le pied gauche sur la cuisse droite, ou bien, il est possible aussi de s’asseoir en posture de « demi lotus » dans laquelle seul le pied gauche repose sur l’autre cuisse. En second lieu, on place la main droite sur le pied gauche, paume tournée vers le ciel puis on place la main gauche sur la paume de la main droite de telle sorte que l’extrémité de chaque pouce vienne juste toucher l’extrémité de l’autre. Graduellement, on étire son buste vers le haut et on le balance plusieurs fois vers l’avant et vers l’arrière, vers la gauche et vers la droite, de telle sorte que l’on trouve finalement en posture assise un bon équilibre pour le buste.
Le buste ne doit être incliné ni d’un coté ni de l’autre, ni en avant ni en arrière. Les os des hanches, du dos et du crâne s’érigent l’un au dessus de l’autre comme un stupa [sorte de pagode ou de colonnes votives dressées vers le ciel dans un lieu de prière].
Le buste ne doit pas être tenu droit à un point tel que, si quelqu’un le regarde, il se sente mal à l’aise. Tenir parallèles entre elles les oreilles et les épaules, et de même le nez et le nombril; l’extrémité de la langue doit venir toucher les dents d’en haut; les deux mâchoires doivent se toucher et les lèvres être closes; les yeux doivent rester légèrement entrouverts pour éviter de s’endormir. Si vous entrez en samadhi, sa puissance est incomparable.
Dans l’ancien temps, il y avait un moine de grande expérience qui pratiquait toujours zazen les yeux ouverts. Il y avait aussi un maître zen nommé Entsu-Zenji de Houn-Ji qui réprimait ceux qui pratiquaient zazen avec les yeux clos. Il les appelait « les démons de la grotte de la Montagne Noire ». Une profonde signification se cache là-dedans. Mais il faut être homme d’expérience pour le savoir. Lorsque la posture corporelle a été mise bien en ordre et la respiration rendue régulière, on pousse l’abdomen en avant. On ne pense plus ni au bien ni au mal on tranche sans répit toutes illusions et on les rejette en se concentrant de tout son esprit sur le décompte de ses respirations ou sur son koan. Si nous tranchons sans repos toute illusion, nous parviendrons tout naturellement à notre maturité dans l’Un. C’est le coeur même de la méthode de méditation zazen. »
Zazen requiert une posture correcte, ordonnée, qui pourtant ne soit pas trop tendue. Il n’est pas recommandé de rejeter la tête si loin en arrière que cela mette les autres mal à l’aise. Etant donné qu’il est dit que « zazen enseigne le confort selon la ligne du Dharma », il devrait être effectué en posture totalement relaxée et confortable. Quoi qu’il en soit, on doit s’arranger pour que le buste soit érigé droit vers le haut en redressant la colonne vertébrale. Les oreilles et les épaules doivent se trouver sur une même ligne, et de même le nez et le nombril. Mais il serait presque impossible de garder le nez et le nombril sur une même ligne si l’on ne faisait pas autant que possible avancer l’abdomen. »L’extrémité de la langue devrait toucher les dents d’en haut ». L’auteur de ce texte est vraiment attentif à chaque partie du corps, si petite soit-elle. Mais il est absolument vrai que chaque partie du corps doit être correctement positionnée, sous peine de ne pouvoir faire correctement zazen. Lèvres et mâchoires doivent être closes. Les yeux doivent rester légèrement entrouverts, ils ne doivent pouvoir regarder qu’une superficie restreinte devant soi.
On pourrait supposer qu’avec les yeux clos on peut atteindre le calme plus aisément mais ce serait au contraire une façon de faire erronée. Si nous fermons les yeux, notre mental s’encombre d’illusions et nous ne pourrions que trop facilement nous endormir. Le Patriarche nous enseigne d’ouvrir autant que possible les yeux en zazen : c’est ce que nous démontre le portrait du Bodhidharma, fondateur du Bouddhisme zen. Nous n’avons jamais vu une peinture du Bodhidharma avec les yeux clos. Même si vous êtes assaillis par les distractions visuelles, vous devrez toujours pouvoir vous en libérer en les laissant repartir comme elles vous sont arrivées. St vous avez pris l’habitude de faire zazen les yeux fermés, votre zazen deviendra inefficace lorsque vous ouvrirez les yeux, particulièrement dans les endroits bruyants et pleins de monde. Au contraire, si vous exercez votre pouvoir de samadhi (concentration) au moyen de zazen les yeux ouverts, où que vous soyez, vous ne pourrez perdre votre capacité de méditation.
RESPIRER « JUSTE »
Ce qui précède a esquissé dans ses grandes lignes la façon de s’asseoir. Nous devons rendre notre respiration régulière. Rendre la respiration régulière est très important en zazen. Les anciens savaient que tout le monde est capable de comprendre le processus de la respiration, c’est pourquoi l’enseignement du contrôle de la respiration est extrêmement important.
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CONTEMPLER NOTRE PROPRE NATURE INTÉRIEURE
En même temps que vous contrôlez votre posture corporelle et votre souffle, commencez votre zazen de façon relaxée tout en concentrant avec naturel votre énergie dans votre abdomen.
Venons-en maintenant à l’état du mental dans lequel la voie du zazen est enseignée. Avant tout, lorsque nous commençons zazen, il nous faut écarter tout ce qui demande à entrer en contact avec les organes des sens et avec l’intellect. Il est bon d’oublier tout ce qui nous entoure. Les durées des périodes d’entraînement à zazen sont variées : une retraite de quatre-vingt-dix jours, une sesshin d’une semaine, deux heures par nuit, dix minutes juste après la toilette du matin, etc. Dans tous les cas, pendant ces laps de temps, il vous faut tout abandonner, excepté de faire zazen. Il vous faut oublier tous les problèmes de travail professionnel, de vie domestique, de relations sociales, de situation dans le monde et même de tout ce qui concerne l’amour ou la haine, la joie ou le chagrin, les pertes ou les gains.
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Le grand Hakuin Zen-Ji lui même confessait que, pendant qu’il pratiquait zazen, il lui arrivait de se remémorer un événement aussi minuscule que le prêt de quelques bols de riz aux haricots, bien des années auparavant, à un voisin qui habitait la porte à côté. Il est étrange que nous nous remémorions des petites choses que, habituellement, nous ne prenons même pas en considération. Dans le Zen-Do (salle de méditation), il n’y a que le son de la clochette ou du claquoir en bois qui pénètre les organes de nos sens, et pourtant beaucoup de choses se présentent à notre mental et nous les considérons.
Nous en venons à réaliser à quel point nos pensées sont occupées par du non nécessaire, à quel point le mental de l’homme est pollué. Notre mental est aussi pollué qu’un fossé boueux dont s’échapperaient constamment des bouffées de gaz putride. C’est inimaginable ce qui peut apparaître ou jaillir. Le Bouddhisme nomme ce mental incrusté de pollutions « alaya », mot dont la traduction est »accumulation d’images du subconscient ». Trancher cette masse d’illusions au moyen du sabre de la « sagesse de prajna », de telle façon que nous puissions découvrir le mental clarifié du Soi réel, c’est ce qu’on appelle le contrôle du mental.
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Revue Française de Yoga, n°9, « Dhârana », janvier 1994, pp. 141-150.