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Le temps du rêve chez les Aborigènes d’Australie.

par Betty Villeminot | Publié le 24 mai 2005

Chez les Aborigènes d’Australie, le « temps du rêve » est le mythe fondateur de la société humaine et en même temps sa référence, son idéal. Le rêve, lui, est un contact établi entre les hommes et le monde divin, et l’interprétation des rêves une tâche noble et difficile qui permet de cheminer vers le divin.

LE MONDE EST NE D’UN REVE

« Chez les Aborigènes d’Australie, (…) avec quelques variantes suivant le peuple concerné, l’activité onirique s’intègre dans le réel où elle joue un rôle actif. Comme elle l’a fait au début des temps. Car c’est d’un rêve que le monde est né. D’un rêve de Balamé, le Grand Esprit, l’Intelligence suprême, qui envoya sur terre une pluie de parcelles de cette intelligence afin qu’elles matérialisent les images reçues pendant son sommeil.

Le rêve des humains est donc lui aussi important et, à sa manière, créateur. Il est l’un des liens qui relient les hommes avec le Temps du Rêve, référence à un monde parallèle exemplaire qui corrige et régularise sans cesse le monde des hommes. »

La Genèse aborigène

« Le rêve étant indissociable de ce Temps primordial, il nous faut définir ce dernier pour mieux faire comprendre le premier. Le Temps du Rêve représente un ordre cosmologique, l’Essence qui anime l’univers. C’est un passé qui n’a jamais commencé, qui est le présent et déjà le futur, un exemple de vie, et dont la perpétuelle mouvance doit se refléter sur terre. »

Les premiers écologistes

« Le devoir de maintenir vivant le Temps primordial par des rites menant d’un site sacré à un autre imposait aux Aborigènes une vie d’éternels pélerins. Ils allaient, tout au long de l’année, séparés par petits groupes, certains de trouver leur nourriture en quelques heures grâce à la générosité de la Terre-mère. Leur origine commune avec les autres formes de vie, empreintes comme eux de l’Energie vitale sacrée des Entités premières, avait créé entre eux et ces dernières une parenté parfois plus forte qu’une parenté de sang. »

Un paradis accessible aux humains

« Ce passé fabuleux continue d’exister. Sans lui, le présent ne pourrait être puisque « le présent EST le passé latent qui existe toujours en puissance ». (7) C’est un Espace-temps exemplaire qui permet de critiquer la vie temporelle pour remédier à ses défaillances ; ceci en trouvant dans la succession des événements qui créèrent le monde, (événements répertoriés dans les mythes), la manière d’accorder la transformation du monde temporel à celle du Temps du Rêve. Il maintient les individus dans le droit chemin car, s’il sécurise, il punit aussi tout comportement contraire à ses règles morales. Il représente la Loi. Une loi souple quant à la forme, implacable quant au fond. (…)

Aujourd’hui, chaque homme est certain d’avoir séjourné, lors de sa préexistence, dans l’une des réserves d’esprits laissées sur son territoire par un Héros des Temps mythiques, son « Rêve » ou totem ; chaque homme est certain d’avoir été autrefois ce Héros. Pour le redevenir fugitivement, pour retrouver en partie Sa mémoire il lui faudra de longues années d’initiation. Il lui faut tout d’abord subir une deuxième naissance, celle de son corps spirituel, son yowie (8) invisible. Les Aborigènes pensent en effet que l’humain est formé de deux corps. »

PLACE ET FONCTIONS DU REVE

Le rêve, assistant de la loi

« Les Aborigènes ignorent ou se moquent de nos hypothèses, de notre méconnaissance des expériences oniriques. Pour eux, le rêve représente « la mémoire du passé et la source des métamorphoses de la société ». »

Le rêve, révélateur de l’inconscient collectif?

« Les rêves sont classés suivant les messages qu’ils transmettent. On peut citer les rêves anodins, oubliés dès le réveil, les rêves amusants, les rêves médiateurs, et les rêves révélateurs/innovateurs. Tous jouent un rôle dans de multiples domaines de la vie temporelle. »

« Les rêves-médiateurs interviennent lors de décisions politiques ou de toute autre action qui s’avère litigieuse. Par exemple, le changement de personnages importants, comme celui d’un maître de cérémonie, peut se faire lorsque un tel changement a été vécu en songe. Ne peut-on voir l’origine de ce rêve dans un désir collectif inconscient d’un tel changement ; désir tout aussi inconsciemment capté par un individu qui, un jour ou l’autre, l’extériorise par un songe. Quoi qu’il en soit, la « modification » se fait avec l’accord de tous, même de celui du dépossédé: on ne discute pas la Loi venue du monde des songes. »

L’art: le thème onirique le plus fréquent

« Quant aux rêves-révélateurs-innovateurs, ils font connaître un événement du passé, du présent ou de l’avenir. Certains de ces rêves sont très importants car ils concernent le maintien de la force d’action transcendante de toutes les formes d’art et d’objets sacrés qui participent aux rites ; ils concernent également le maintien du pouvoir des armes. C’est un songe qui révèlera à un homme ou à une femme quelle « technique » doit être utilisée. Le rêveur recevra l’image du nouveau symbole à graver sur le tjuringa (…) »

Le rêve, facteur d’immortalité d’une civilisation

« En imposant une perpétuelle transformation des formes du rite, le rêve est sans doute l’un des facteurs qui contribue à maintenir intacte la foi des Aborigènes depuis des dizaines de milliers d’années. En effet, en réactualisant leur liturgie, c’est-à-dire en « modernisant » les « techniques » de leurs parents, ces hommes surent éviter la lassitude pour des pratiques rituelles trop anciennes. Transformées un tant soit peu, elles deviennent autres ; ils les perçoivent alors comme leur Création. »

Le rêve, un monde où vivants et morts dialoguent ‘

« C’est également pendant le séjour dans le monde du rêve que les vivants rencontrent les morts. »

L’assistant des poètes

« D’autres rêves, les rêves-totems, souvent rêves-poésie, sont perçus comme les assistants des « songmen » et des Grands Sages. En effet, ils leur apprennent de nouvelles chansons, de nouveaux vers, vers masculins ou féminins suivant le sexe du dormeur : ici, la poésie joue un rôle important et ses règles sont subtiles. »

L’INTERPRÉTATION DES REVES

Une clé des songes flexible

« Le rêveur interprète certains de ses songes lui-même. Par exem-ple, s’il rêve d’une dispute avec l’une de ses épouses, il traduit par une dispute à venir. S’il rêve de l’infidélité de sa femme, c’est une dénonciation venue du monde invisible. En ce cas l’expérience onirique joue deux rôles, celui de révélateur mais aussi de modérateur des pulsions humaines car, dans un couple, la possibilité d’un tel songe accusateur modère évidemment les aventures extra-conjugales. Notons que certains peuples aborigènes pensent que les évènements de la vie quotidienne ne peuvent exister avant d’avoir été vécus dans le monde des songes.

L’interprétation des rêves varie d’une région à l’autre. Partout elle est fort souple, tenant compte du lieu où s’est fait le songe, des évènements des jours précédents, de la cérémonie à venir, etc. De plus, elle peut être reconsidérée après quelques jours. Il ne semble donc pas exister de clés des songes définitives. »

L’homme des mondes invisibles

« Cet homme, à l’intelligence supérieure, est un personnage aux pouvoirs fabuleux, respecté de tous ; un médium entre le monde des vivants et des morts. Chez l’un des peuples du centre, son statut de Grand Sage, d’homme de Grand Savoir, lui vient d’un rêve, un rêve très particulier sur la mort, qui clôture de longues et difficiles années d’enseignement.

Mieux que tous les autres, le Grand Sage a su retrouver sa mémoire du Temps du Commencement. »

Revue Française de Yoga, N°17, « Rêver. », janvier 1998, pp.245-261.

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